26.4.05

L'un part, l'autre reste

Frappé des signes avant coureurs d'une décrépitude inexorable, j'en suis réduit ces derniers jours à me mouvoir avec une application qui n'est pas sans rappeller les gestes prudents et mesurés des mécaniciens de haute précision sur les stations orbitales.

En effet, je suis incapable d'exercer le moindre mouvement de nature à suggérer une liberté d'action entre ma tête et mon torse.
Me voilà le menton engoncé entre les épaules, la nuque raide, les bras tendus et le pas hésitant.
Cette rigidité forcée, proche de sa pendante post-mortem, donne à ma démarche, d'habitude férocement chaloupée, un petit je ne sais quoi de la créature du docteur Frankestein qui fera sûrement fureur cet été, pour peu que la mode donne dans le handicap moteur, ce qui, au vu des derniers résultats fantastiques des crèmes amincissantes, à peu de chance de se réaliser.

Onguents, bandes et massages méticuleux, méme appliqués à la lettre selon la petite recette éprouvée de l'infirmière du patient anglais, n'ont que peu de prise sur ce tronc noueux qui plante désormais fièrement sous mon crâne.
Je suis donc contraint d'apprendre à composer avec ce bout de bois, le temps nécessaire de trouver un médecin qui accepte de trancher à la scie à métaux le noeud de tous les maux.
A petit problème, réponse disproportionnée, comme disait Richard Nixon, qui n'était pas la moitié d'un con. Au Trois Quarts, tout au plus.

Hélas, et nous ne le savons que trop bien, malheur à celui qui pose un genou à terre dans la redoutable arène du productivisme planifié. A celui là sont promis les milles tourments éternels.

Celui qui n'est pas capable d'attraper son train avec l'allégresse d'un petit commissaire au peuple zèlé, sous le fallacieux prétexte d'une félure apparente à l'oeil nu des cervicales 5 et 6, celui là je vous le dis, ne vaut pas plus que la balle qui lui est à coup sûr destinée dans la nuque.

En gros, à moins d'une blessure réellement incapacitante de nature à provoquer un état de mort prolongée, et sous reserve de ne pas trouver un nécromancier bon marché dans un laps de temps décent, je serai contraint de frapper de mes poings nus, s'il le faut, le fer rougi par la ferronerie tournant à plein régime.
Le bonheur des masses et des fonds de pensions américains n'a pas de prix, à part peut être celui de l'ulcère avant 35 ans.

Qu'importe les tergiversations, le goût du sang est désormais présent dans toutes les bouches et je suis de fait la cible du premier prédateur venu.
Je ne parle même pas des divers chausse-trappes et assimilés que la concurrence ambitieuse se presse de placer sous mes pas hasardeux, et qu'on classe naturellement dans les dommages collatéraux de la noble guerre commerciale, mais dans ce grand état de faiblesse qui est le mien, je suis devenu la proie facile pour celui dont le coeur est lourd comme dans une chanson de Cabrel et qui cherche un compagnon d'infortune sur lequel s'épancher en toute impunité.

Une fois repéré, à l'heure où les grands fauves vont boire auprès des machines à expressos, j'ai beau jeu de fuir aussi vite que mes frêles jambes sont en mesure de me porter, je suis systématiquement rattrapé dans ma course et cloué au sol, les crocs plantés dans ma nuque. Je ne suis plus qu'un pantin de sciure désarticulé aux mains de tortionnaires pervers forts de leurs ascendants psychologiques.
Mon quotidien n'est donc plus qu'une longue litanie de plaintes diverses et incongrues, d'accumulations de ragots avariés et de platitudes navrantes.

A croire qu'on ne casse vraiment les couilles qu'à celui dont le courroux se limitera à une projection poussive de baume kamol au camphre.

On peut toutefois décemment établir que le pic a été atteint ce matin, lorsque simultanément, j'ai reçu deux coups de téléphone, l'un m'annonçant un mariage prochain, l'autre me relatant un plaquage sauvage, qui n'est pas, contrairement à ce qu'on pourrait croire, un geste technique un peu trop poussé de la part d'un pilier toulousain de bonne constitution.

En temps normal, la simultanéité aurait de quoi faire tiquer. En pleine période de charette, celà devient juste une simple extrapolation de la théorie des 36 heures, qui veut qui dans les dernières 36 heures avant un évènement important de nature professionnelle, tout se met à déconner allègrement.

De fait, jongler entre des suèdois impertinents dont seule la grande distance géographique peut expliquer le regain de morgue, une divorcée hystérique d'être parvenue à se recaser avant la date limite de péremption et qui le manifeste au prix d'un tympan fissuré et l'écho des sanglots résonnant dans l'appartement fraîchement vidé du vieux pote nouvellement plaqué, avait de quoi être une opération quelque peu délicate, mais néanmoins supportable, au prix de quelques tics faciaux.

Je crois que c'est lorsqu'est arrivé par mail une requête me demandant de me porter garant pour une fausse attestation d'hébergement que j'ai félicité chaleureusement mes suédois, proposé à mon hystérique de venir dormir à la maison et menacé la vallée de larmes de pénalités de paiement en cas d'entêtement de sa part.
Je me suis enfui à toutes jambes, aussi vite que mes frêles jambes ont pu me porter comme je vous l'ai déjà dit, m'enfermer dans les toilettes, résolu à n'en sortir qu'une fois la nuit tombée. Cloîtré dans le seul endroit qui ferme à clef de la plateforme, je suis finalement en mesure de pouvoir un peu travailler.

Il paraîtrait que les contractions musculaires au niveau du cou sont souvent la conséquence d'un stress important.
Autant directement investir dans la minerve plaquée or.

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