18.7.05

Le démon du bobo précoce

Ce sont les vacances et ça se sent.
Bientôt, ici, des blagues de Toto.

Je suis actuellement cloitré dans mon home, le canapé faisant office de contrepoids devant la porte d'entrée.
Les évenements me reviennent de facon encore confuse et éparse, j'écris ces quelques lignes à la hâte, de peur de ne plus pouvoir le faire par la suite.
Ainsi, j'aurai peut être une chance de prévenir le monde indifférent et peut être éviter que de tels incidents ne se reproduisent plus jamais à l'avenir. Je sais bien que cette solution de fortune ne tiendra pas bien longtemps, il ne me reste que peu de temps avant qu'ils ne me retrouvent et que je ne sois assimilé.

Nous étions partis pour une retraite à la montagne comme seuls les teenage movies américains savent en produire.
Un plan parfait, sur le papier. Une grosse envie de se vider la tête, divers alcools en grande quantité, un chalet à la montagne, des bons vieux copains à la complicité rodée, une patate à tout casser.
Le genre de retraite où l'on finit en toge, l'abat jour sur la tête, à chanter des chansons paillardes en plein champ, avec les vaches pour témoins privilègiés.

Vous voyez le genre.

Mon D., si nous avions pu savoir quelle apocalypse allait s'abattre sur nous, pauvres pêcheurs.

Une fois sur place, la pluie battante qui nous servit de comité d'accueil aurait déjà du me mettre la puce à l'oreille. De la pluie un beau mois de Juillet, avec des éclairs et des éboulis sur la route.

Installés céant, alors que nous envisagions de faire un feu de cheminée afin de nous sécher les os, j'eu la païenne curiosité de m'enquérir au sujet de "celui dont on ne doit prononcer le nom sous peine de le réveiller".
Aussitôt, les lumières se mirent à vaciller, un vent glacé parcourut le salon et un flot de psalmodies incantatoires résonna.

" - Il est très vexé de ne pas avoir été convié, il ne comprend pas.
- Si j'avais eu besoin de me faire emmerder, je me serais marié lorsque j'en avais l'occasion.
- Il dit qu'il t'avait demandé et que tu avais accepté.
- C'était juste pour avoir le plaisir de lire la déception sur son visage."

La porte, sous les violentes bourrasques s'ouvrir brusquement et plus rien ne fut pareil ensuite.
Le mal avait pénétré les lieux.
La malédiction de l'ami vexé venait de fondre sur nous et déjà pointait la cohorte des longues justifications incohérentes face à une assemblée étonnament réprobatrice.
Le pire était à venir.

Il n'était plus question de faire un feu, la fumée risquait d'intoxiquer "bébé".
Bébé ? De quel bébé parlions nous ?
D'où sortait donc cet erzatz braillard et rougeaud qui trônait dans son caca chaud au milieu du salon ?

Ce brave couple d'apparence bohème, amateur de jazz et de bonne chère venait de se transformer devant moi en furies bobolchéviques affublées d'une petite déjection sonore dont ils s'acharnaient à me faire porter un lien de parenté ambigu.
Le démon ancestral des vieux jeunes prenait ses aises, il possèdait ses premières victimes.
Mon weekend mitonné aux petits oignons montrait ses premières lézardes.

Je n'aborde même pas la question des cigarettes sur le balcon.

Il était hors de question de faire un feu.
A la place, nous n'avions qu'à porter des gros pulls, voilà tout.
Des pulls.
Ces pulls maudits, ces pulls faits de laine vierge, ceux là même que l'on porte dans ces publicités pour les voyages en Irlande, avec Plouf le Setter Irlandais en arrière plan. Les pulls de Manu Chao.
Nous venions de pénètrer dans l'horreur la plus totale.
Des pulls, Seigneur D.

Nous étions assis, autour de la cheminée éteinte avec nos pulls, et alors que je tentais de contenir tant bien que mal mes premières alertes en 6 ans d'hypertension artérielle, je me rendis compte que quelquechose ne tournait pas rond.
Personne ne touchait au Pontet-Canet ouvert.
Mes invités refusaient sciemment d'y toucher, la route avait été longue et fatiguante, ils préféraient boire des jus de légumes ou bien de l'eau.

Fraîche de préférence.

Nous étions à table et personne ne buvait d'alcool.
Malgré mes efforts de consommation en lieue et place de mes convives, je commençais sérieusement à me demander comment j'allais écouler les deux caisses de vins prévues à l'occasion de ce séjour.

A la place, les possèdés sortirent d'un sac de peau qu'ils portaient sur eux des runes caballistiques et se mirent à pratiquer un étrange rite incantatoire tout en lisant des formules sur un grimoire en peau humaine.
"Scrabble, scrabble" scandaient-ils.
Après avoir tenté timidement un "couille, couille !" pour donner le change, je vis leurs regards consternés et je me tins à carreaux, de peur qu'ils ne veuillent me sacrifier à l'autel du catalogue Ikea.
Autant être prudent, qui donc, à part un fanatique, peut possèder dans sa voiture un jeu de scrabble accompagné de son dictionnaire officiel ?

Alors que la pluie, qui s'était entre temps muée en grêle, redoublait d'intensité et qu'il était désormais possible d'apercevoir au loin la cime des sommets qui s'enneigeait patiemment, il fallut que je me rende à la réalité.
J'étais coincé avec des terroristes fanatiques et si je voulais m'en sortir vivant, il me fallait les suivre dans leurs macabres rituels.

Ils critiquèrent mon chili.
J'ai beau être d'un naturel assez tolérant et ouvert d'esprit, il y a quelques rares points sur lesquels on ne peut pas plaisanter.
Betty Page, les talons de 11 centimètres et mon Chili.
Et pourtant, mon chili, celui là même qui mitonnait amoureusement depuis des heures dans moultes épices en vue de procurer une douce sensation de brûlure éternelle, toi mon chili que j'aime tel un enfant fou riant d'un rire cristallin, je t'ai trahi.
J'avais concocté un repas strictement épicé et de ce fait j'étais devenu la pire des ordures, parceque "bébé" risquait de ne pas supporter l'allaitement par la suite.
Nous n'avions qu'à faire des pâtes à la place.

C'est bien, des pâtes.

Loin de planter la louche que je tenais en main dans le gosier de la maman réprobatrice, j'ai lâchement souri et j'ai ouvert un paquet de pâtes.
Des générations entières de cowboys et de mariachis riaient en me montrant du doigt tout en me traitant de petite lopette pendant que je faisais cuire des pâtes.
Mon chili, de désespoir, attacha irrémédiablement le fond de la cocotte.

Alors que le blizzard avait vaguement cessé d'intensité, mes nouveaux tortionnaires décidèrent d'entamer une procession lugubre à l'extérieur en vue vraisemblamement de faire basculer le monde dans leur chaos maléfique.
Ils choisirent un endroit plat, près de la route, afin de faire rouler un chariot qu'ils nommaient "poussette".
Méfiants, ils me firent endosser leur panoplie rituelle, en serrant bien à la taille leur gros pull, pour qu'il tienne chaud, et fermant le polo de rigueur jusqu'au dernier bouton.
Ils me mirent en main la laisse d'un chien vraisemblablement échappé des enfers afin de s'assurer que je ne puisse m'enfuir dans un moment d'inattention et tout le long du trajet je dus lui lancer des batons en prenant soin de ne pas les projeter trop loin car "il se fatigue rapidement et qu'il faut ménager son coeur".

Heureusement, je n'avais plus que quelques heures à tenir.
Ils devaient partir tôt "pour éviter les embouteillages".
J'ai jeté le baton, j'ai pris des photos de plan du groupe, des macros de fleurs.
J'ai tenu bon.
Je devais survivre et témoigner.

Une fois qu'ils furent partis, seul devant mon verre de vin, un petit frisson vint me traverser le long des épaules.
Celui des souvenirs un peu trop récents déjà cliniquement froids.

Alors que je rentrais en voiture, avec toute la sympathie du diable en accompagnement; dans une ligne droite familière je ne pus m'empêcher d'appuyer sur l'accélérateur.
Un grand élan libérateur.
Un petit sursaut de fierté.

Quand le flash se mit à crépiter, il me semble même que je souriais à pleine dents.

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