17.10.05

Des taches sur les poumons

C'était évident que nous étions coincés dans ce hall depuis bien trop longtemps.
Il fallait être aveugle ou idiot pour ne pas en prendre conscience.
Ou vaguement dépressifs.

Et pourtant, fidèles, nous étions présents pratiquement chaque soir, sans raison particulière je crois, à toujours ressasser les mêmes thèmes, vacillant sur l'exercice périlleux qui consiste à extraire jusqu'à la pulpe du sens du moindre non-évènement.
Histoire de tuer le temps.
On parlait football, entre deux absinthes.
On parlait de sujets qui nous semblaient consensuels.
Pelant les aspérités, par souci de clarté.
Allongeant, délayant ce qui rencontrait un tant soit peu d'écho.
Ce qui se conçoit bien s'énonce clairement, n'est ce pas.
Un doux ronron lénifiant entrecoupé par le goutte à goutte de la distilleuse.

Ce n'était pas tout à fait un hall à proprement parler, d'ailleurs.
Dison plutôt une salle.
Une pièce dans un bar d'hôtel.
Propre et feutrée.
Le genre à avoir des bougies, De la moquette au sol, sur les murs.
Et de la moquette certainement au plafond.
Un hôtel d'hiver aux pensionnaires retraités, un de ces hôtels qui affichent complet par tous temps.
Des retraités méritants, mûs par les derniers rayons tièdes et hospitaliers d'un climat bienveillant, au prix de patientes économies.
Des gens biens de leurs personnes, qui parlent trop fort et digèrent mal.
Des vies ordinaires aux portes de l'obscurité.
Qui s'émerveillent sur la dorure des lambris.
Un discours tellement lustré qu'il brille à nous en renvoyer notre propre image.
Juste là à attendre.
Juste las d'attendre (applaudissements).

Nous et notre armada de retraités en transit à tenter d'établir un contact poli.
A explorer patiemment quelles formes extrêmes pouvaient revêtir la convivialité lorsqu'elle est de circonstance.
Car finalement c'est celà et rien d'autre.
Discuter du temps l'air pénétré en attendant patiemment son tour.
Prétendre faire fi des différences, histoire de se sentir moins seul.
En chier jusqu'à la nausée pour finir entouré de moquette pourpre.
Gagner au quizz hebdomadaire sur l'Egypte pharaonique et aller se coucher.
De grandes enjambées pour finalement ne plus se rappeller quelle place on occupait la veille.
Ecouter poliment des divagations séniles approuvées par la majorité.

Sans oublier cette peur panique, diffuse, qui suinte au point d'en détremper la moquette en de larges tâches noirâtres.
Discrètement, pratiquement au rythme des gouttes dans l'absinthe.

Comment voulez vous que l'on continue à y croire avec candeur ?

Nota bene :

Merci à ceux qui ont remarqué.
Même indirectement.

Alors que je cherchais une sentence définitive, un fin un peu à la Despentes, le genre qui place des lyrics de groupes post trenta, la seule chose qui me soit vraiment venue en tête est extraite d'une chanson des L7 (qui curieusement n'a aucun rapport avec les L5):

"They can't hear a word we've said
When we pretend that we're dead"

On ne lutte pas contre les chansons de son adolescence.

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