13.8.05

Page Cornée II

En vérité, j'aimerais mieux qu'elle accouche d'une glycine ou d'une paire de moufles. Les enfants me mettent mal à l'aise. Ils sont apparemment seuls à savoir échapper à la place qui leur est attribuée. Ils sont continus, voyez-vous, et ils se moquent de nous par des moyens secrets. Je rêve souvent d'un jeu télévisé de l'après-midi, qui s'appelle "Avortez ce foetus". L'assistance est composée de femmes manifestement enceintes, bien trop avancées pour qu'on puisse prendre la moindre mesure corrective, mais un grand public de studio quand même, cristallisant le thème de l'émission et prenant vigoureusement parti pour les concurrents. Les signaux d'applaudissements clignotent et le présentateur arrive, toutes dents dehors et embaumant la laque capillaire, la suavité faite homme. Il contemple le public, pointe un index épuisé, et dit "Que diriez vous de jouer" -- légère pause -- "à a-vorrr-tez ce foeetusss !" Les femmes hurlent, trépignent, gémissent, et on fait entrer le premier concurrent.

Don DeLillo in l'étoile de Ratner

12.8.05

Allright, hear this

Un peu de lassitude, voilà tout.

Comme une sensation de feutre sans bouchon s'asséchant un peu plus chaque jour.
Une envie sourde et tenace dans les tripes, là, un peu sur la gauche.
Se terrer dans une grotte, manger à même la bête.
L'instinct de migration des saumons, l'appel de la nature.
Défoncer le premier édifice branlant à coups de talon.
Bâtir des joyaux invisibles.

Le blanc, le noir.
Tout ça.
Binaire, putain.

La chaleur moite implacable et liquide s'infiltre dans les failles infimes.
Lèche patiemment les liens de cire des amants.
Longs fils, mous et distendus.
Grande fondue sentimentale.
Les yeux dans le vague.
Une petite brume de mélancolie et de crème solaire.
Opaque, tangible.
Viciée.

Nauséeux de fatigue, je ne compte plus les chocs accidentels.
Trop de trop.
Le corps qui grince comme un rafiot sous la tempête.
Les maigres ressources de sommeil gobées avidement dans toujours un peu plus d'oubli.
Ne plus s'inquiéter d'avoir du sang dans la bouche, dans les selles.
Perdre gros sur une paire de valets.
Les muscles maxillaires qui rampent comme des vers gras gavés aux toxines.
Pourtant la paire c'est la clef.

Une caricature aseptisée.
Ecrire, jouer.
Boire, tomber.
Je vous épargne le couplet.
Inscrivez juste un bel oxymore.

Deux travestis passent, jupe courte virevoltant au vent.
Un regard de haine à en faire baisser les yeux.
Je me masse la joue, bouche ouverte.
Je trouve que ca me donne du style.

" - C'est emballé. La décision vient de haut. On va tous y passer.
- Tu ferais un excellent évangéliste.
- Ils voudraient qu'on aille au feu.
- Beaucoup moins séduisant depuis que Sarkozy monte dans les canadairs.
- Alors on fait quoi ?
- Ils ont oublié le mot magique.
- S'il vous plait ?
- Non. Pitié."

Le wagon est vide et je ne sais pas combien de temps j'ai dormi.
Je ne sais même pas comment j'ai sombré.
Il y a juste cette femme, là bas dans l'angle.
Nous sommes seuls.
Elle me regarde en souriant.
Elle est plutôt aimable dans son accoutrement beaucoup trop court.
Nous devrions partir tous les deux, là, maintenant.
Fuir en Italie, sur une petite île, à faire des tours de Vespa en fumant des longues cigarettes aux clous de girofles.
Des bains de minuit dans des fontaines qui collent les robes vaporeuses.
De longues danses molles pieds nus dans le sable.

Le train s'arrête et en se levant, nous échangeons un dernier regard.
Elle soulève son haut et me montre ses seins.
Disparaît, toujours en souriant.

Je me tue à vous dire que la clef c'est la paire.

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