16.1.06

Je m'appelle Thierry

je crois aux signes, aux hasards un peu trop impromptus, à l'incohérence.
Humble devant ce que je ne peux pas comprendre.
Si la fin du monde est pour tout de suite, alors autant choisir un endroit confortable et apprécier pleinement le spectacle.
Je crois à l'insignifiance de nos existences.
J'ai appris à accepter à ployer devant des forces qui me dépassaient de tant que le sens même de ce mot n'en avait plus aucun sens.
Une résignation pragmatique devant l'étincelle surgie du ciel qui réchauffe la tribu dans les ténèbres.
Le sofuckinwhat du monolithe transformant l'os en outil.
Le regard navré du leader devant le rachat hostile de la société, en trois heures montre en main.
On finit par voir des schémas partout, du sens jusque dans le moindre verre d'eau.
Un mysticisme moderne, empreint de cohabitation fataliste avec nos nouvelles divinités modernes.

Je crois que j'ai même fini par accepter sans tiquer l'idée que l'une des dernières chances qui me tirera de ma modeste condition sera de décrocher la cagnotte au loto.
Il y a même parfois des moments où j'en suis totalement convaincu.
Nous sommes tous tellement si spéciaux, il suffit juste de découvrir sa petite lumière interne.
Ouvrir ses chakras.
Enfin, ce genre de conneries, quoi.
Sa petite graine à faire pousser, le talent caché, le quelque chose de si spécial qui ne demande qu'à être découvert et tout le merdier.
Viens donc me pousser la petite graine.

Pour ma part, les gens que je rencontre pour la première fois ont souvent l'impression de m'avoir déjà rencontré auparavant.
Je luis d'une sympathique aura de déjà vu.
L'avantage du single white male passe partout.
Du métrosexuel moyen forgé dans les canons lambas.
Mon talent spécial, c'est d'avoir une bonne gueule de con avec qui on aurait pu faire son service militaire.

J'ai arrêté de lutter contre celà et je l'accepte avec résignation.
Je me prête de bonne grâce à l'énumération pénible d'éventuelles connaissances communes, de potentielles rencontres précédentes.
Je ne bronche plus quand on m'appelle Thierry ou Schlomo.
J'opine spontanément en souriant.
Un oui est tellement plus simple et rapide qu'un non.
J'écoute patiemment leurs litanies, accepte leurs accolades.
Je détaille des endroits où je ne suis jamais allé.
Je complète des anecdotes rocambolesques qui me sont étrangères.
L'important est de créer de l'affect, des coups de coude complices.
De remplir un coin de la photo.
Après tout, ce que l'on recherche tous c'est un peu d'attention, quelqu'un pour qui celà importe.
Pouvoir s'appeller par des diminutifs intimes.
Après tout, on est tous le Thierry d'un instant.

Accepter d'endosser des vêtements d'emprunts, le temps de fouiller dans les tiroirs.
Respecter la mise en scène pendant qu'on extirpe de la terre meuble les cadavres fumants.
Se glisser entre les meubles à grands coups de soupirs sonores et gratter le vernis à s'en faire saigner les doigts.

Après tout, ce que l'on recherche tous, c'est exister.
Comme on peut.

Ce midi, alors que je tentais de me rendre autant que possible hors d'atteinte de l'alienation libérale organisée, j'ai croisé un cochon.
Un gros cochon noir, joufflu et couinant, qui se promenait sur le trottoir.
Une tache rose sale dans le gris mobilier urbain.
Quelques gouttes d'absurde au creux de la nuque de la réalité.
Lorsqu'il m'a aperçu, il s'est approché de moi et, tout en se frottant le long de ma jambe, a posé sa truffe poilue contre ma main, en redoublant de grognements.
Il venait de trouver son Thierry.

Celà fait bien longtemps que j'ai arrêté de me poser des questions.
Après tout, ce qui compte ce n'est pas forcément de vouloir trouver du sens à tout.
Se convaincre que nous sommes tous des Thierry si uniques.

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