21.5.05

Un plan presque parfait

Incapable de faire la grasse matinée.

Deux jours de congés, la vie devant soi.
Il me semble mieux comprendre cette mécanique des ainés qui les fait se dresser méthodiquement aux aurores, de peur de perdre une goutte du précieux liquide.
Quand on réalise tout ce qu'on a pu gaspiller et ce qui nous reste finalement, au creux de la main.

Le soleil se lève et je suis sur ma terrasse, je pense à la fin de Blade Runner, la colombe qui s'envole, tout ce symbolisme à la con.
On se croirait devant un de ces films passés en accéléré, où les mouvements rapides se fondent en des lignes floues tenaces.
Une trace qui enfle et luit pour finalement s'estomper doucement, à la nuit tombée.

Je suis dans ma voiture.

Je me rends compte que je n'avais jamais vraiment écouté les paroles de Could you be loved, le passage où il parle du fittest des fittest qui survivra.
Je secoue la tête.

Au dehors, le pollen s'agite follement.
Des lucioles qui épousent le vent pour lui donner corps.
De cette incalculable addition de poussières naît un dragon jaune en furie, qui tente d'avaler le véhicule.
Des petites âmes qui dansent tout autour de moi pour finir en bouillie.

L'instant perd un peu de sa force quand Mister Blague raconte une histoire sur les blondes.

Je suis en retard, elle à l'habitude.

Nous nous installons au premier rang, question de standing.
Qu'importe en fait, puisque nous sommes les premiers.
Le spectacle peut commencer.
Et puis ce n'est qu'une plage, pas la Scala.
Cela faisait une éternité que nous n'avions pas eu une activité normale.
Vous savez, le genre où on se pose quelque part, à boire des cafés en parlant.
Une de ces journées où tout va bien.
Le temps passe trop vite et nous restons trop longtemps.
Il me semble que l'important n'est pas là, mais c'est compliqué quand c'est subtil.
Alors on dit des conneries, pour changer.
On s'habitue à tout, ça doit être ça la force des survivants.

Qu'est ce qu'on dit déjà ?
Se dépécher d'en jouir avant que la vie ne nous le reprenne ?
Il me semble que tout le problème reste de savoir sur quoi on doit précisement jouir.
Dans le doute, autant viser large.

Des poissons énormes nagent dans un bassin, surveillés par de vénérables mamies un peu séniles.

J'échoue dans un take-away où trône sur le comptoir une tirelire qui sous entend que sans mon aide, des chats abandonnés mourront.
Je n'ai pas assez pour les chats et ma nourriture.
On me demande si je veux des oignons, en plus.
J'en veux double ration.
Donnez moi tous les oignons.
Les clients discutent d'un passage de la Bible particulièrement prenant et je réalise alors que je suis dans un café chrétien. Des prospectus sur le comptoir parlent de la loi du prix à payer par tous et en permanence.
Un étrange mélange entre un charabia d'entreprise et des poncifs religieux.
"Pour progresser, changer ou continuer à gagner, toute l'église doit en payer le prix, sans qu'un membre se démobilise".
Ce genre de conneries, quoi.
"Le prix à payer pour rester dans la course a été encore plus élevé".
Vous voyez le genre ?
"Si tous ne paient pas le prix pour gagner, chacun y perdra."
C 'est clair ?

Le dragon est toujours là, gardien de sa porte.
Le temps se plie, on vit plusieurs vies dans la même journée, parfois.
Romain Duris semble en retard, il se dépéche tout en tentant de garder une attitude roublarde.
Question d'image publique, je suppose.
Cela ne semble pas si facile que ça.
Il lui reste quelques tics de ses derniers rôles, ça à l'air de l'aider.
Ca doit être dur à supporter la notoriété au quotidien, mine de rien.
Mais on doit avoir des contreparties sûrement.
Des places au premier rang, des oignons en plus, peut être ?

Le soleil se couche, je suis de nouveau sur la plage.
Une autre.
Des bateaux démesurés baignent au loin. Les couleurs tirent sur le mauve profond.
Des mouettes et des corbeaux tournent autour de nous en quête de miettes à manger.
Depuis quand est ce qu'il y a des corbeaux au bord de l'eau ?
Pourquoi pas des buses, tant qu'on y est ?

Ca mange le gras du jambon, la mouette, figure toi.
C'est omnivore et quand ça a rien à bouffer, ça bouffe des petits oiseaux.
Parfois même d'autres mouettes.
L'instinct de survie, quelle belle chose.

M'est avis qu'on leur fera pas des tirelires de sitôt à ces connes.

Il fait nuit, il fait froid, et les oiseaux sont de plus en plus menaçants.
Ils s'approchent de nous très calmement, toujours plus nombreux.
Il nous reste à tout casser trois ou quatre cartouches.
Si les secours ne viennent pas, nous ne tiendrons pas la nuit.
C'est mal barré.
Autant en finir comme Butch Cassidy et le Sundance Kid contre les mexicains.

Fais n'importe quoi, fais ce que tu veux, mais surtout, fais le avec classe.

Un coup de téléphone.
Quelque chose ne va pas.

" - Ecoute, A. est mort.
- Il avait des moyens plus simples de quitter son boulot.
- Pour une fois, juste une fois seulement, ferme ta gueule."

La trace lumineuse s'estompe un peu plus.

"Pour progresser, changer ou continuer à gagner, toute l'équipe doit en payer le prix, sans qu'un membre se démobilise"
T'as pigé ?

Ca me semble plutôt mal barré, à franchement parler.

Des petites âmes qui dansent pour finir en bouillie.

18.5.05

Une pure formalité.

Je me suis réveillé vers Midi.
Disons dix heures trente.
Six heures peut être ?

Je ne me rappellais plus de la sensation de cette vieille douleur, cette aiguille à tricoter dans le crâne, chauffée à blanc, qui glisse comme dans une motte de beurre tiède.

Comme une vieille plaie qu'on tripote instinctivement et qui ravive aussitôt tant de familiarité.
On gratte machinalement et malgré la douleur, on continue de plus belle.
Un inconfort contrôlé.

Il doit faire jour, c'est certain, vu comment le soleil me carbonise les pupilles, paupières fermées, comment la vermine grouille au loin, dans les coins du champ de vision.

La dernière image qui me revient en tête, c'est ce petit gâteau que je mange avec son papier, je le dévore et plus rien d'autre ne compte.

Ma vie contre cette friandise.

Une pile de DVDs est répandue dans le salon, comme un dégueulis de bébé.
Une étagère n'est plus à sa place.

De la brume généralisée qui me fait office d'instinct conscient, je tente péniblement de remonter le fil des évènements des heures précèdentes.

Récapitulons.

Je me heurte à la porte d'entrée.
Je gare la voiture.
Un long tunnel obscur.
Je rentre dans la voiture, vaseux.

Je quitte la soirée.

La Soirée...

Curieusement je suis bien.
Je suis là sur la terrasse, tout seul.
Les yeux mi clos, je regarde les deux énormes ferrys mouiller dans la baie.
Il y a des halos de lumières de ci de là.
J'ai l'impression d'avoir bien joué le coup.
C'était tellement facile.
Bravo, champion.
Je bois un fond de verre avec des cendres pour fêter ça.
Il est temps de rentrer.

" - Tu veux que je te ramène ? On vit toujours dans le même quartier.
- Non, je ne préfère pas.
- Je suis toujours une sale ordure bourrée qui ne change pas, hein ?
- Ne dis pas ça. Tu as changé. Tu tenais beaucoup mieux l'alcool avant."

Je finis ma deuxième bouteille de vin.
Et ça doit faire quelques fois de plus que je me renverse le verre dessus.
J'ai bien fait d'abandonner l'idée du costard.
Je n'ose même plus imaginer la scène.
Remarque, celà fait bien bien longtemps que j'ai abandonné l'idée de garder un quelconque contrôle de la situation.
Je parle d'une voix éraillée, englué dans ma philosophie sentencieuse de comptoir.
C'est beau ce que je dis. J'ai tellement compris la vie.
J'ai failli écrire des livres, tu sais.

La plupart des gens sont partis depuis bien longtemps.
Il fait froid. Je renifle bruyament.
Elle m'emmerde avec ses questions.

" - Est ce que tu t'es remis en cause, depuis ?
- Je ne comprends pas ta question.
- Je te demande si tu es heureux dans ta vie.
- Si je t'ai quittée, c'est parcequ'on vivait comme dans une chanson de Miossec.
Je ne t'ai pas laissé le choix, c'était injuste, c'était tout ce que tu veux, mais je ne savais pas t'aimer comme
tu le méritais.
- Je ne t'en ai jamais remercié. J'ai fait une dépression, depuis.
- Hôpital ?
- Psy.
- Mon égo en prend un coup."

Joli baraque, rien à dire. Vue sur la mer, gros bateaux qui mouillent dans la rade, douce brise tiède.
Canapés de luxe, portes arrondies.
On voit dans le paysage au loin ce bar discret, les pieds dans l'eau, où je fais mes numéros de séduction au Mennen.
Je parle dans le vide depuis un moment, je suis sur mes gardes.
J'attends le moment où j'aurais droit au numéro de la femme bafouée qui se drape dans sa dignité.
Je les attends, tous.

" - Champagne, mon ami
- L'âge du Christ.
- Et si je te cassais tous les doigts ?
- Tu ne peux pas, je t'ai fait un cadeau cher."

A l'entrée, un couple fait mine de ne pas me reconnaitre.
Ou bien, fait mine de me reconnaitre et de m'éviter.
On ne sait pas trop bien, ce n'est pas assez explicite.
On en vient à admirer ces grands tragédiens qui parviennent à donner de la grâce à de telles situations.
Pourtant, dans la réalité, il est bien rare qu'elles atteignent autant d'intensité.
Tout se fait bêtement.
On meurt bêtement. On se marie bêtement. On tombe amoureux bêtement.
On s'évite bêtement avec des chassés croisés dignes des théatres de boulevard aux portes qui claquent de façon sonore.

Je me parle à moi-même. Il n'y à plus de Mojito.
" - Qu'est ce que tu pensais, Ducon ? Que ça serait facile ?
Que tu débarquerais comme une fleur et qu'ils t'acclameraient comme un héros antique ?
- Pour être sincère, j'y croyais un petit peu."

Elle se pointe vers moi presque immédiatement.
A notre première rencontre, elle était vêtue en Catwoman.
Une fête costumée, déjà.
J'avais bien aimé qu'elle me touche la pointe du nez avec son fouet.
Je suis un homme facile, je n'ai jamais dit le contraire.
Ce qui me vrille les tripes, c'est sa voix.
Depuis combien de temps je n'avais plus entendu ce timbre ?
Tout ça sonne faux. Tout ça sonne trop familier.
C'est donc ce qui reste au bout de tout ce temps, quelques petits frissonnements au son d'une voix qui surgit du néant.

" - Ca me fait vraiment plaisir de te revoir.
- Cinq années.
- Qu'est ce que tu deviens ?
- Sourd.
- Je pensais que tu aurais rencontré d'autres femmes, depuis."

J'annule et je me casse.
Je laisse tomber ce déguisement de merde.
Je trouve une excuse bidon.
Des Exs mélangées à des grosses prises de tête, et de gens que je n'ai pas vu depuis si longtemps.
L'exercice des retrouvailles, des confessions, des mea culpa.
J'ai besoin d'un verre.
Qu'est ce qu'il m'a pris d'accepter cette invitation.
Marcher sur des oeufs.
Se résumer en quelques mots, vendre sa réussite, vendre ses échecs, trouver l'accroche, savoir faire baver même avec trois fois rien, ne rien lâcher.
Il faut il vraiment que je crois en cette connerie de karma.
Je compte jusqu'à trois et je fais demi-tour, c'est décidé.
Trop tard, reperé. Bien fait pour ta gueule.
Hey! Des jambes à bas résilles !

" - Oh, que tu es ridicule.
- Je suis déguisé en fan de Johnny.
- Ca te va bien, la tête de loup.
- Sers moi un verre"

Je me rends à cette soirée, comme on s'est rendu à Alamo. Acculé, dos au mur.
Une invitation de vieux copains. Une offre qu'on ne peut pas refuser.
Les vieux copains.
La Mafia, mais en pire.
Les vieux copains, c'est cette famille tentaculaire qu'on s'est infligé comme un grand.
On y retrouve cette même codification protocolaire, avec ses règles tacites, ses sujets à ne pas aborder, ses marques de respect à formuler.
Le respect en valeur fondamentale, on sait à quoi s'en tenir très rapidement.
La seule différence, c'est qu'on ne peut pas se tirer dessus en cas de conflit.

Quand on m'a proposé cette soirée costumée, à base de vieux copains perdus de vue depuis des années, ceux là même sur lesquels on avait mis de la distance et du temps, histoire de prétendre qu'on peut très bien vivre sans passé, je me suis dit que je n'avais rien à perdre et tout à gagner.

Une part de protocole, une part de bons sentiments et une part de masochisme.

La preuve que tout s'est bien passé :
ce midi, la tête dans la cuvette, il ne me reste plus rien à vomir.
Toute la rancoeur qu'il y avait à cracher est déjà en train de refroidir quelque part loin, avec pour seuls témoins deux gros bateaux mous.

15.5.05

Glamoramarre

Des gens qui montent sur des échelles, qui montent dans des arbres, qui montent sur des grands chevaux, qui se montent la tête.
Des policiers, des pompiers, des gardes de la sécurité, des vigiles, des hôtesses, des serveurs.
On se pousse du col, on piétine, on attend, on se fait un peu chier pour tout dire.
On dit bonsoir, on dit merci, on dit à bientôt.
La foule, partout.
Ca grouille.
Badges, cartons, laissez-passer.
Je t'échange deux contre un.
Le souk.

"- On se connait.
- Tu n'as pas changé.
- J'ai eu une petite fille depuis, il faudrait qu'on s'appelle.
- Qui c'est ?"

J'ai bu du champagne, j'ai un peu mal à la tête.
J'ai mal au ventre aussi, et aux pieds.
J'ai mal à la tête et il faut que je dorme.
Des costumes, des touristes, des tailleurs, des tenues de soirées, des badauds, des wanabe, des has-been.
Il faut mettre le mettre le noeud papillon, je n'arrive jamais à le faire, alors que les cravates, oui.
Toute la panique dûe à la foule qui reflue d'un coup.

On prend l'air blasé, celui où il faut pas nous la faire à nous.
Des femmes vous sourient avec intérêt et vous faîtes le petit pistolet avec le doigt.
Beng.
Il faut pas vous la faire à vous.

Le tapis rouge, tout ça.
Les pauvres marches, les photographes fatigués, le vieil adage Warholien qui te ricane à la gueule, le petit moment de flottement où tu es tenté de montrer ton cul.

Un petit sourire en coin, on pense aux Svinkels :
"finis ton paté, lève ton gobelet en plastique".

J'ai confondu Thurston Moore avec David Cronenberg, Kim Deal avec Marianne Faithfull.
Je suis bon pour brûler ma collection de Sonic Youth. J'avais déjà passé une jambe par la fenêtre quand mes amis sont parvenus à m'empêcher de sauter.

J'ai confondu aussi Gus Van Sandt avec Oliver Stone et Matt Dillon avec Matt Damon.

Et comme d'habitude, j'ai dormi pendant le projection.

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