2.2.05

Les petits papiers

Je vis dans un immeuble relativement étrange.

Cossu et bon teint, rien le diférencie à première vue de n'importe quelle autre construction avoisinante.
Pas d'histoire extravagante à son sujet, pas de mythe urbain, pas de crime passionnel, juste un paquebot qui vogue sur une mer d'huile.

Paquebot, parcequ'énorme. Je ne parle pas d'une barge de béton coulée en plein désert urbain.
Je parle d'un gros paquebot dans un cadre bucolique avec des coursives, des ascenseurs, des souterrains et des jardins intérieurs.

Coquet et bourgeois.
Du luxe de pacotille, qui s'écaille lorsqu'on gratte un peu trop.

Relativement étrange parcequ'il y règne une atmosphère pesante.
De par le prétendu luxe qu'il prétend revendiquer, nombre de ses appartements sont habités ou possédés par des retraités d'un âge plus qu'avancé. Ils representent la majeure partie des propriétaires et à ce titre, ils entendent bien imposer leur loi. A l'échelle d'un paquebot, celà commence à représenter une certaine quantité. Une phénomènale majorité silencieuse dont le principal souci est de maintenir une apaisante harmonie prompte à satisfaire la quiétude du dernier soupir durement acquis.

Le paquebot fournit cette garantie. Sécurisant, protecteur, chaud, maternel.

Majorité silencieuse parcequ'apparement lorsqu'on atteint un âge avancé, on est réduit à une débilitante fragilité qui nous obfusque la moindre confrontation directe avec tout ce qui pourrait engendrer une fracture impromptue du bassin. Voire plus.

Dès lors, Nous, les disparates représentants de la France Active, sommes souvent jetés à l'opprobe collective lorsqu'une quelconque péripetie vient à troubler l'ordre. Qu'un mégot de cigarette traîne le long du petit jardinet, qu'un bruit ose s'aventurer passé le soleil assoupi et c'est une lourde machinerie de communication qui se met en branle.

Or, dans un paquebot, lorsqu'il s'agit de communiquer à l'ensemble de ses passagers, il n'existe que peu de moyens pertinents. On peut dénombrer les sirènes d'alarme et l'affichage de consignes sur le pont central.
L'achat de sirènes 180 DBs n'ayant toujours pas été entériné lors de la dernière assemblée des propriétaires, toute notre communication interne passe par la rédaction de missives enflammées et bien senties soumises au vu et au su de tous.
Ou pas.

Je n'avais pas tiqué lorsque, jeune installé en mes lieux d'aisance, j'avais reçu une missive anonyme m'invitant à retirer le parasol publicitaire trônant sur mon balcon.
Un parasol publicitaire.
Moi qui n'arrive même pas à dépasser le chapitre Un du No Logo de Naomi Klein, je me vois bien à l'ombre d'une publicité Casanis.
Puis il y avait eu cette invitation à ne pas jouer de la perceuse après 19 heures, parcequ'"il y à des gens qui travaillent, vous savez".
Une bureaucratie Kafkaïenne.

Dès lors, notre quotidien d'intérieur est agrementé de panonceaux divers et variés méta-réalistes.
Celui ci déplorant "qu'une large majorité n'ait pu être déployée pour permettre l'acquisition d'un portail automatisé nous protégeant des intrusions noctures de maraudeurs dans le jardin" parcequ'un clochard avait trouvé refuge à l'abri d'un fourré.
Celui là informant que "nous connaissons les responsables qui s'acharnent à parsemer le jardin de dejections canines et serons prêts à sévir à la prochaine incivilité".
Ce dernier menacant "qu'un contrôle discret sera opéré dans le local à poubelles afin de retrouver les personnes qui ne trient pas les ordures".

Tout ceci est vraisemblablement légitime, je ne le nie pas, mais l'aspect anonyme et ronéotypé de la chose laissent à penser aux plus sombres heures de la délation.

Quelques tentatives de rebellion se fomentent parfois, par le rajout au dessin d'un sexe démesuré ou la rédaction de commentaires de contestation, mais la teneur en est encore plus déprimante dans sa laborieuse tentative de justifications libertaires.

Le plus beau date d'hier soir.
Vaguement de tête : "Je voudrais savoir pour quelle raison on continue à fumer devant ma porte. Je connais la personne qui fait celà. Cherche t'on à me faire sortir de mes gonds ?"

A la rédaction de ces lignes, je repense à une anectode datée des précédentes présidentielles.
Les boites aux lettres débordaient des programmes des différents candidats et j'avais eu l'idée de récupérer dans la corbeille à prospectus dégueulante les programmes du parti nauséabond de l'extrême afin de les offrir à mes hôtes comme cadeau de bienvenue.
L'idée était suffisament idiote pour me faire sourire comme un collégien et s'il vous plaît, épargnez moi la philosophie de Terminale.

Au finir de mon investigation aux tréfonds de la corbeille, je n'étais qu'en possession de 6 programmes sur un ensemble global d'une soixantaine de boîtes.

Un bon instantané des suffrages.

Depuis, j'ai beaucoup moins de surprises lors de l'émission hebdomadaire du bulletin interne de l'Anonyme Larvé.

Scènes Supplémentaires en VOST (5)

Traduction franco anglaise à la volée d'une conversation téléphonique.
Oui, j'ai des amis intimes anglais et je me la pète en lâchant des "no friggin' kiddin'" dans mon micro oreillette téléphone à la caisse du Lidl.

Moi "Hey ! Mon camarade enculeur de maman ! Que se passe t'il en haut ?"
Lui "Eh bien, des compagnons de maison m'ont expliqué que le restaurant de nourriture crue était enculément de l'excrément, on pourrait au contraire essayer ce Jap' dont tu m'as parlé au sujet de"
Moi "C'est une damnément bonne idée, je préfère mieux car j'ai pris un peu trop de poids ces derniers moments"
Lui "Hein ? Tu as pris du poids récentement ? Et tu ne m'as rien dit au sujet de ?"
Moi "Jesus ! Je ne pensais pas que tu étais sujet à une telle information"
Lui "Tu rigoles enculément ? Si tu prenais du poids alors j'aurais été très intéressé, mais même si c'est pas très bien maintenant"
Moi "Bien, je te fais la promesse que dès que les kilos seront partis de moi, tu seras le premier membre de mon équipe de malandrins à en être actualisé"
Lui "DES KILOS ? DES KILOS DE POIDS ? ES TU EN TRAIN DE ME PLAISANTER ? de quoi parles tu avec exactitude ?"
Moi "Ben, de mon poids ?"
Lui "O garçon, je croyais que tu parlais au sujet de la Cocaïne"

Weight et White. Ces gens sont impitoyables.

Enculé de Maurice Chevalier je te prends quand tu veux moi et mon posse.

31.1.05

Malbouffe


Pièce à conviction numéro un

La ville est assiégée.

Une armée d'accordéonistes, en quête probable d'une éventuelle aumône en échange de leurs sinistres mélopées, a littéralement investi la ville, d'une façon méthodique et implacable.

Le quadrillage est tel qu'il est proprement impossible d'y passer au travers indemne. Une méticuleuse organisation militaire.

Certes, cet étal de misère n'est hélas pas nouveau et il n'est que le triste reflet d'inégalités de plus en plus flagrantes, mais la proportion et le perfectionnement qu'à atteint ce déploiement massif tient désormais du siège.

L'accordéon est un instrument qui tient une place particulière à mon coeur.
Il m'a toujours tiré de lourds soupirs mélancoliques, même lorsque les partitions interprétées égayaient les plus joyeuses fins de banquets. En gros, Licence IV le dispute au fado.
L'accordéon est une instrument dévastateur pour celui qui sait s'en servir intelligemment.

De coins de rues en zones piétonnières, d'artères commercantes en boulevards animés, la ville s'est mise au diapason d'accords tragiques qui agrémentent le moindre acte de la vie quotidienne.

Ajoutez à celà une neige à gros flocons et des bourrasques hostiles propres à glacer jusqu'à la moelle, et l'on admettra que le décor prête à un petit air de fin du monde, laissant libre cours à l'imagination. Stalingrad, Sarajevo, les soldes chez Armani, ces grands sièges historiques viennent insidieusement en mémoire. Les femmes revêtent des aspects de fières résistantes dures et déterminées, les hommes sont rugueux et impitoyables.

Bien sur, la guerre, ce n'est pas romantique, et j'admets que la comparaison est pour le moins douteuse, mais toutefois, dans ce climat plus que particulier, acheter des cigarettes devient un douloureux ravitaillement, poster une lettre un risque tactique, quitter ses amis un poignant déchirement.

Et toujours au loin, ces roses blanches pour toi, Jolie Maman.

Etait ce pour cette raison que cette envie de se réunir s'était imposée en nous de façon si impérieuse ?

Toujours est il que tout le monde répondit présent lorsqu'il fût question de nous retrouver dans ce restaurant japonais, à gober avidemment des sushis.
Il suintait une impérieuse volonté de rire jusqu'à en oublier l'instant.
Quelle meilleure réponse en effet que le Rire contre cette sinistrose.

Une légion de plaisantins, prêts à tout pour porter l'estocade d'un mot fin, d'une trouvaille dévastatrice, d'une anecdote imparable. Nous concevions à table ouverte de quoi tenir tête à la plus redoutable campagne jamais organisée.

L'alcool de pétales de rose aidant, notre Rire devenait plus facile. Une fois les premières défenses de l'Ennemi franchies, notre progression se faisait de plus en plus aisement. Nous avions réussi à déjouer la mécanique imparable, et, grisés par notre Victoire si soudaine, nous marchions vers le QG des troupes ennemis afin de l'éradiquer au plus vite.
Rien ne peut résister à la puissance de feu des combattants d'une union sacrée.

C'est peut être pour cela que nous n'avons pas réalisé qu'un cinquième colonne s'était montée dans notre troupe. Elle attendait patiemment le moment insidieux pour interrompre notre élan de liberté.

Finalement, la déflagration retentit.

"Moi, tout à l'heure, j'ai parié avec mon mec que si j'osais manger du Canigou, il me faisait un truc sexuel. Et beh, finalement, c'est pas si mauvais que ca la bouffe pour chien"

Patatras. Gros bruit de disque rayé. Silence de mort.
La neige elle même, il me semble, s'était arrêtée de choir.

Après un long moment, inéxorablement, un hoquet s'est aventuré.
Puis un autre.
Le suivant à grondé comme le tonnerre pour se fondre à un vacarme assourdissant.

Nous avions définitivement gagné.
L'Ennemi avait rendu son dernier soubresaut et nous dansions victorieux autour de sa carcasse fumante.

Cela faisait très longtemps, il me semble, que nous ne nous étions pas fait virer d'un restaurant.

Au loin, on entendait résonner à l'accordéon quelques accords de musique.
Ils accompagnaient joyeusement une chorégraphie improvisée par quelques soudards avinés.

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