20.6.05

Maintenu par la nation des millions

Des fins de semaine éprouvantes.
Trop de tension, trop de sollicitation.
Tendu comme un arc qui ne demande qu'à cèder.
Trouver des stratégies pour fragmenter le sommeil.
On peut comprendre qu'il y ait parfois quelques moments d'absence.

Mettre toujours plus de distance entre eux et moi.
Et le plus vite possible.
Surtout ne pas regarder en arrière.
De peur de ne pas voir Rome brûler.

Je retrouve une vieille cassette en passant la main sous le siège.
It Takes A Nation Of Millions To Hold Us Back.
J'ai toujours bien aimé cette phrase.
Tellement définitive qu'elle s'insère à vie, comme une marque au fer rouge.
Le son est élevé.
Principalement pour éviter de m'assoupir.
La vitesse aussi.
J'ai 15 ans.

Je m'arrête à un feu.
Je suis uniquement entouré de noirs qui s'apprêtent à traverser.
Dress code de luxe.
La voiture hurle.
Black is back, all in, we're gonna win.
Petit moment de flottement.
Je suis traversé par un léger sentiment de honte.
Les roues crissent et tes paupières sont lourdes.
Très lourdes.

Non je ne dors pas.

Tum.

Nous nous garons au quatrième sous-sol.
Lumières vacillantes ou hors service.
Une des portes est défoncée.
Un prospectus pour l'église adventiste traine au sol.
Une jolie caisse de résonnance entre nos pas et nos voix.
Curieusement, ça ne sent pas la pisse tiède.
Mon costume, en revanche me tient chaud.

Mâchoire serrée.
Déglutition difficile.
Tic nerveux.

"Je suis un faux calme. C'est pour ça"

Je n'ai jamais vraiment compris le sens définitif de cette phrase.
Mais c'est, il me semble, une de ces expressions toutes faites qui satisfont pleinement la curiosité de ses pairs, lorsqu'il s'agit de d'écraser une bosse d'incompréhension.
Le genre d'atout imparable qu'on pose quand il est question d'éviter le piège de la confession intime face à des imposés professionnels.

" - Mon dieu, c'est un carnage, il a abattu tous les gens du département financier !
- Je suis un faux calme. C'est pour ça.
- D'accord. Désolé, je ne pouvais pas savoir. Bonne journée, alors"

La rue grouille comme une fourmilière.
Une fourmilière dans laquelle on aurait donné un coup de masse.
Un coup de masse tellement puissant qu'il aurait justifié à lui seul une force de réaction terrible, malgré cette fournaise.
Deux voitures se sont téléscopé, une énorme flaque d'huile se répand lentement au sol.
La voiture, elle saigne de son ventre.
Des gens hurlent.
Une voiture de flics.
L'agitation est à son comble.
Qu'aucun des véhicules ne prenne feu est presque décevant.
Un coitus interruptus automobile.
Avec cette chaleur écrasante, on aurait naivement espéré un moment hors du temps, comme dans ces fantasmes de ville mexicaine du siècle dernier, l'artère principale figée dans une bouillie de chaleur volcanique.
Mais, hé, comment dormir avec tout ce blé qui pousse et qu'on ne se fera jamais ?

" - C'est la première fois que je te vois ainsi.
- Je t'ai déjà dit que j'étais un faux calme.
- Oui, mais c'est surprenant.
- Ne me force pas à être un faux calme deux fois dans la même journée."

Les portes s'ouvrent.
Un voiturier, un portier, un concierge, des hotesses.
Une fontaine. Du marbre.
De la musique de hall, de la musique de couloir, de la musique d'ascenceur.

Il doit y avoir au moins 10 degrés de différence.
La caisse de résonnance est différente, ici.
Curieusement, ça ne sent pas la pisse.

Une télé dans l'ascenseur diffuse sagement les cours de la bourse sur fond de musak au piano.
Suivre les cours de la bourse en changeant d'étage.
On en vient à ne même plus trouver cela absurde.
Cette même muzak que des milliers de gens dans des ascenseurs à travers le monde entendent en même temps que nous.
Cette muzak diffusée par des satellites chaînant méticuleusement l'anneau géostationnaire.
L'internationale des musiques d'ascenseur, la plus grosse audience d'entreprise. Restez avec nous.
Leaders, agents, assistants, requalifiés, gardiens.
Tous en train d'écouter au même instant une reprise approximative au piano d'un classique de compositeur allemand.
Un moment intime universel.

" - Cela serait peut être mieux que je parle.
- Tout va bien se passer.
- Evite de leur dire que tu les emmerdes, cette fois çi.
- C'est parce que ...
- ... je sais, tu es un faux calme."

Les portes se referment.
Tum.
Même la sonnerie d'étage est stylisée.

Tum.

La glissière de sécurité.
Non, je ne dors pas.

Je fais une violente embardée.
Combien de temps ai-je somnolé ?
Un reflux de stress jusqu'à la nausée.
B'cause every brother mans life is like swingin' the dice, right?
Un coitus interruptus automobile.

Je pense à Richard Pryor, à cette autobiographie dans laquelle il écrit : "i had to quit drinking, i got tired of waking up in my car driving 90".
Mais où ces gens trouvent ils le temps de ciseler de telles phrases au fer rouge ?

Il conduit une petite voiture électrique à présent.
Je n'ai jamais su comment il était devenu infirme.

" - Ta maman est méchante !
- Ah bon ?
- Oui, ça se voit à tes yeux !
- Peut être, mais moi, mon papa, il est pas parti avec une dame 20 ans plus jeune que ta maman."

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