9.4.05

Promotion épiscopale

Dans un souci de transparence totale envers mon lectorat, qui aux dernières estimations s'élevait approximativement au nombre de trois personnes dont ma mère, je me dois de vous confier un secret de la plus grande importance.

Normalement, rien n'est encore officiel et le secret doit être gardé jusqu'à grosso modo la fin du mois, histoire d'amuser la galerie, mais étant donné que tout est bidonné et que les jeux sont déjà faits, je n'ai aucune raison de ne pas me lancer :

J'ai été désigné pour devenir le prochain pape.

La nouvelle peut sembler absurde au premier abord, puisque désigner un cadre anonyme mal rasé plus au fait des escarpins à talons de 8 centimètres que des pratiques religieuses n'est pas forcément la première éventualité qui aurait pu venir à l'esprit.
On aurait plutôt vu en effet un senior en fin de carrière, ayant l'expérience de la maison et que serait au mieux avec les syndicats.

Moi même, lorsque j'ai recu un appel en PCV du Vatican, j'ai cru d'abord à une des ces plaisanteries fines que l'on pratique au téléphone le nez pincé, de celles par exemple où l'on appelle le boucher pour savoir s'il possède des pieds de porc. Le boucher dit oui et entre deux hoquets de rire, d'une voix haut perchée, on lui rétorque qu'il ferait mieux de se les laver.

" Essere carnarium Sanzot ?" a donc entamé notre conversation.

Ce n'est pas sans mal que j'ai réussi à soutenir la totalité de l'entrevue en latin, fort pourtant de mes douze années d'allemand, mais apparement l'allemand et le latin sont assez proches, surtout en période de guerre.
En gros, de ce que j'ai compris, c'est que face à leur forte chute d'audience ils sont assez chauds pour moderniser la marque et veulent faire un énorme coup médiatique qui prendrait la concurrence à contre pied.

J'ai encore un peu de mal à établir par ce qu'ils entendaient par "porcinum pedibus", mais l'essentiel est là.
Au sortir d'un brainstorm orageux du conclave, ils ont ouvert un annuaire au hasard et une main innocente m'a désigné.

Je n'étais pas super enchanté, à vrai dire.
J'avais des projets au mois de Mai, quelques jours de repos à Lisbonne et je ne suis pas certain que Nouvelles Frontières me rembourse vu qu'ils m'avaient déjà fait le coup pour le 11 Septembre.

J'ai eu beau leur expliquer que je n'étais pas le moins du monde chrétien et que seule mon incapacité chronique à clairement comprendre la différence entre agnostique et athé m'empéchait de me prononcer définitivement sur le sujet.
Au contraire ! m'ont ils rétorqué, cela rentre parfaitement dans la philosophie de la nouvelle campagne, où à l'instar des rock stars et de leurs ambiguités sexuelles, le doute sera maintenu quand à mon exact label religieux afin de toucher le maximum de segments de consommateurs.
Je pense que je vais un peu attendre avant de leur parler de la branche Ashkénaze de la famille.

Ils ont pensé à quelque chose comme 'Ash Ier, le prince cool des croyants et des femmes lascives'.
Avouez que ça en jette pas mal.

J'avoue que l'idée de porter une robe toute la journée m'a paru tellement séduisante que j'ai fini par accepter.
Ils n'ont même pas tiqué lorsque j'ai demandé si je pourrais porter des bas en dessous.
Je garde mes points retraites et j'ai réussi à négocier logement plus véhicule de fonction.
Il y a une petite magouille sur les notes de frais, mais il parait que c'est relativement courant dans le milieu.

En l'attente de mon intronisation, et pendant qu'ils règlent les derniers détails en mettant en place le buzz, ils m'ont demandé de réflechir à deux trois concepts novateurs : "Faites nous quelque chose comme le post où vous dites du mal des femmes, ça a beaucoup fait rigoler Monseigneur Di Falco, mais d'un autre côté, il rigole aussi quand il voit Laurent Ruquier à la télé, alors ne vous polarisez pas trop là dessus quand même."

Deux semaines.

C'est quand même court pour pondre un Vatican Trois. Même en écrivant gros.

Mon cursus en la matière est vraiment très léger.
Je suis entré une dizaine de fois dans une église, si on compte la fois où je cherchais des cabinets. Je n'ai jamais compris comment on pouvait marcher sur l'eau, même en faisant de grands pas et la seule expérience mystique à laquelle j'ai assisté de mes yeux est un petit bar en bas de chez moi qui change le vin en mauvaise gueule de bois.

J'ai donc souligné au stabylo les passages les plus importants de 'La bible pour les nuls', visionné en accéléré Charlton Heston faisant tomber par terre sa pierrade Téfal alors qu'il se rendait à un repas chez un couple chiant et effectué un stage au guichet de la poste, histoire de parler sans postilloner au travers l'hygiaphone.

Fort de ce training intensif, uniquement hydraté par du vin de messe, je suis parvenu à pondre quelques idées qui ne me semblent pas trop mauvaises pour commencer :

Par exemple, il n'a échappé à personne que la désaffection des églises était un processus déjà fort bien entamé. Pour enrayer ce mécanisme et bourrer à nouveau ces lieux de fervents fidèles je propose que nous engagions des lutteurs professionnels de la fédération américaine de catch dans le but de réinterprêter les scènes les plus célèbres de la Chrétienté.
Outre-Atlantique, leurs matchs font salles combles auprès d'un public toujours plus avide de spectacle.
Si par exemple nous pouvions avoir Hulk Hogan professant le première épître aux Corinthiens à grands coups de chaise dans la gueule, ou bien l'Undertaker (un mort vivant insensible à la douleur avec de grands orbites blancs) dans le rôle de Judas l'Iscariot qui monterait sur la troisième corde avant pour s'abattre sur Ponce Pilate joué par Stone Cold Steve Austin, nous ferions à coup sûr un tabac.
Entre les produits dérivés, les dvds, les posters et les t-shirts, il y a de grosses retombées à attendre.

Deuxième acte fort de mon pontificat, je pense déclencher une guerre totale des religions à travers le monde.
En effet, il est essentiel que nous frappions fort afin de parfaire le retard qu'ont nos concurrents sur nous dans ce domaine. Nos dernières guerres remontent aux croisades, ce qui nous prive d'une large couverture média sur les chaînes infos 24/7.
Et puis, dans la mesure où Chirac a repris les essais nucléaires aussitôt accédé au pouvoir, je ne vais quand même pas me gêner pour déclarer une bonne guerre, disons, contre les bouddhistes.
Il faut commencer modeste, les gardes suisses étant un rouillés depuis ces longues périodes d'inactivités.

Parallèlement nous procèderons à une politique des rachats agressifs des petites sectes qui périclitent. Il faut être pragmatique face aux réalités du marché. La plupart des niches ont déjà été investies et ce serait une pure perte sèche de temps et d'argent de vouloir s'y introduire aujourd'hui. Donc, OPA hostiles sur le Mandarom, la Secte du Temple Solaire et peut être la Scientologie, si on trouve un acheteur pour le Saint Suaire.
Ensuite, classique, fusion avec l'Opus Dei, plan social afin de faire des économies d'échelle et entrée d'Alain Minc dans le conseil d'administration.

En ce qui concerne le célibat des prêtres, en revanche, je pense qu'on tient quelque chose.
Sur cette question, nous devrions radicaliser notre ligne et assumer cette masculinité virile.
Aucune femme à un poste à responsabilité et un organigramme à 100% masculin.
On pourrait même faire appel à une boite d'évènementiels pour un grand show où nous ferions notre Coming Out massif. Cela permetrait de presenter dans la foulée notre nouvelle gamme d'uniformes de casquettes en cuir et de chaps cloutés.

Dernier point, étant donné qu'il devient de plus en plus difficile de se retrouver peinards entre potes durant les matchs de la coupe de la ligue je propose de faire sanctifier les mercredis soirs de coupe d'Europe et menacer de damnation éternelle les mécréants qui ne seront pas devant le saint tube cathodique ces soirs là. On déplacera
également vraisemblablement la messe dominicale pour éviter de rater Télé Foot et on réecrira deux trois passages de la Bible dans lesquels Jesus fera la passe décisive à Burruchaga pendant la finale contre les allemands au Mexique en 86.

Le SIDA, la famine, la surpopulation des pays pauvres, j'avoue je n'ai pas bossé, mais pour ma défense le Monde Diplomatique que j'avais acheté pour piquer des idées à Ignacio Ramonet ne parlait uniquement que de Fidel Castro.

C'est évidemment un premier jet et je m'en vais de ce pas le faxer à la maison mère afin d'avoir un premier retour et effectuer les rares corrections de forme qu'elle pourra formuler.
M'est avis qu'ils vont être content de moi avec autant d'audance créatrice. J'ai hâte de leurs réactions.

Normalement, la prochaine qu'on se croise ce sera au volant d'une papomobile V8 montée sur verins hydrauliques avec caissons de basses sous les sièges.

Le troisième millénaire sera donc effectivement spirituel, ou pas.

6.4.05

Ce n'est pas vraiment pour les enfants

La rame, eventrée, dégoute un liquide noirâtre, sur un rythme plutôt rapide.
Tip tap, tip. Tip, pip, tap. Pip.
Des claquettes sous la pluie.
La poésie du hasard.
Une danse à Sept temps. 7.

Venez et voyez.

Les plaques de métal déchirées sont recourbées comme des pelures d'orange.Elles donnent une impression d'intense fragilité tant les formes qu'elles ont prises semblent improbables.

Ce qui frappe tout d'abord, c'est le bruit.
Le bruit, le non-bruit plutôt.

Le vacarme est tellement assourdissant qu'il en ressort une impression de silence absolu.C'est bien cela, non, la définition du vacarme assourdissant ?
Il n'est possible d'y discerner une trame sonore qu'au prix d'efforts significatifs de concentration.
Et encore, ce que l'on en discerne, c'est une bouillie de hurlements stridents, de piaillements ininterrompus, rien d'humainement supportable.

Un visiteur égaré sur les lieux de la scène pourra témoigner par la suite de la violence des évènements, tant semblent ravagés jusqu'au plus intime de leurs chairs les divers élements du paysage.

La foule, prise de panique, est hystérique.

Hypnotisée par le carnage qui se déroule à présent en son sein, elle est partagée entre démence collective et renoncement passif. Le mouvement de panique est tellement intense qu'il en ressort l'image simple d'une ondesouple, s'étirant et se contractant mollement.

Les démons ailés qui s'abattent sur elle n'ont que faire des ces complexes chorégraphies et fondent sans distinction toutes griffes en avant. Leurs yeux sont noirs d'une intensité à en perdre la raison.Une moisson fructueuse de têtes. De bras, de jambes.
Le souffle de la chaleur infernale qui calcine ce qui peut l'être encore.
La Bête qui s'avance, imperturbable, assurée de son pouvoir sur tous les hommes.
Une goule égarée qui s'acharne à frapper au sol, munie d'un bras arraché, son propriétaire démantibulé.
Les Quatres Cavaliers, chevauchant des montures ailées squelettiques, tournoient lentement au loin, le regardrivé sur l'Apocalypse ici-bas.

Je sais quelles sont vos oeuvres et je vous ai ouvert une porte qui ne peut être renfermée.

Venez et ...

" - Oh , tu es là ? Je ne t'avais pas vue, perdue dans cette foule si massive.
- Je t'avais vu, mais je n'ai pas osé te déranger. Et puis bouger relève du défi, aux heures de pointe. Tu semblais tellement bien dans tes rêves avec ce sourire angélique sur ton visage que j'ai préféré te laisser vagabonder. C'est si rare de trouver dans le train des gens qui portent en eux une telle sérénité.
- Merci. J'ai mes petits secrets pour tenir le coup."

4.4.05

Polaroid, marque déposée.

"J'ai terriblement peur"

Un petit esquif à base de plaque de polystyrène flotte au loin. Avec son fanion planté, il dodeline au gré des vagues, en adoptant une danse proche de celle des canards.
Un culbuto marin.

" - Tu te rends compte ?
Ce mec débarque dans ma vie comme ça et il me dit qu'il est amoureux de moi depuis 15 ans.
- Il était peut être en prison pour meurtre ?
- Non, en général, tu prends 20 ans pour un meurtre.
- Alors ca devait être pour viol ?"

Nous sommes tous les deux assis sur une avancée au dessus de la mer.
Un banc dans le marbre, surplombant une hauteur vertigineuse de falaise. Rien à part la mer qui gronde sourdement, déchirée par les flots.
Il fait un vent terrible, tellement puissant qu'on ne s'entend pratiquement pas parler.
Ce n'est pas une mauvaise chose en soi.

" - J'ai peur, non pas de ce qui m'attend, mais simplement qu'il ne m'aime plus un jour. Peur de lui donner ma confiance et qu'elle ne soit pas honorée.
- Il faut savoir se lancer. Tu n'as rien à perdre.
- C'est exactement le genre de conneries que je lui ai servi pas plus tard qu'hier. A croire que c'est toujours plus facile à dire qu'à faire."

Au loin, les goélands, ou bien est ce des mouettes ?
Comment fait on la différence, d'ailleurs ?
Pour ma part, ces oiseaux pourraient être des aigles royaux que je serai bien incapable de les reconnaitre.
Au loin, donc, les oiseaux semblent immobiles tant ils peinent contre les courants aériens.
Figés dans leur lutte face aux élements, ils renforcent cette légère impression que le temps s'est subitement arrêté.

" - Ce n'est pas un peu tôt de repartir dans une aventure aussi intense ?
- Tu crois que j'ai choisi ? Ca me tombe dessus comme ça tu sais. Je n'ai pas trop envie de réfléchir à la situation.
- Alors tu pars ?
- Pour ce que ça va changer entre nous.
- Je t'avais proposé de prendre mon canapé, le jour où tu le quitterais.
- Il aurait sûrement fallu me proposer autre chose que ton canapé, je crois.
- J'ai toujours été un grand sentimental.
- Tu serais capable de baiser une morte.
- Personne n'est supposé être au courant de cette histoire."

On n'imagine pas très bien le poids dévastateur que peut prend un évènement anodin lorsqu'il débarque dans une vie de couple trop bien réglée. Un compliment spontané, une marque de galanterie.
Un SMS dans un couple qui ne sait pas encore qu'il n'en est plus un.
Une lutte contre les évidences, à coups de claques dans la gueule et d'assiettes brisées.
Pourquoi rien ne reste jamais sous terre ?

" - En trois mois, nous avons déjà plus de projets qu'en dix ans de couple. Je ne sais pas où nous allons, mais une chose est sûre, c'est que nous y allons tête baissée.
- Je ne sais pas si je pourrais. Je veux dire, je ne sais pas comment je réagirais si j'étais confronté à la même situation.
- Ton problème, c'est que tu est incapable de saisir le bonheur quand tu le vois. Tu réagiras comme tu as toujours réagi, en fuyant à toutes jambes une fois le maximum de dégâts causés.
- Je crois tout de même être capable de saisir le bonheur quand je le vois, non ?
- Venant de la part de quelqu'un qui fait la danse de la victoire lorsqu'il trouve l'édition collector de l'armée des morts, la phrase perd un peu de sa force.
- C'est à cause du bonus de 20 minutes sur les plus belles explosions de crânes
- Alors, forcément."

Un deuxième esquif suit les traces du premier. Puis un troisième.
Un serpent de mer qui se trémousserait après avoir mangé trop épicé.
Des enfants passent tout en nous regardant avec de gros yeux écarquillés. Ils sont plus laids les uns que les autres. Un particulièrement, miniature du sergent Garcia.
Il détale lorsque je fais mine de lui jeter un caillou.

" - Une chance de te voir en tailleur, avant de partir ?
- Ca dépend, une chance de te voir en string avant de partir ?
- Sans me vanter, je trouve que j'ai des fesses de plus en plus belles, tu serais surprise.
- Nous verrons bien."

Il me semble que nous sommes ici depuis une éternité. Le soleil décroit, épuisé d'avoir craché ses maigres forces à l'aube d'un printemps naissant.

" - Il suffit que je voie un bateau partir à l'horizon, pour que je veuille tout plaquer sur un coup de tête. Naviguer à travers le monde. Une casquette avec une jolie visière.
- Dès qu'il me téléphone, j'oublie immédiatement toutes mes angoisses. Je vis, tout simplement.
- Tu n'écoutes pas ce que je raconte, n'est ce pas ?
- Tu parlais encore de mes seins, je me trompe ?
- Absolument pas."

Les blancs se multiplient. Nous répétons les dernières bribes de phrases prononcées afin de leurs donner un nouvel élan sur lequel rebondir.
Souffler dans le bec des oiseaux morts pour qu'ils s'envolent à nouveau.
C'est la fin. Tout le monde le sait. Nous nous efforçons de croire le contraire.

" - On est obligé de parler de cette façon ?
- C'est à cause de mon blog, il a tendance à tourner les choses de façon pompeuse.
Mais il me semble que cela fait bien longtemps que nous ne sommes plus obligés de faire quoi que ce soit ?
- Je préfère. Tu sais, je voulais te dire quelque chose que je n'ai pratiquement jamais dit à personne. Avant d'aller aux toilettes, je me pèse, afin de voir combien de poids je perds dans l'opération. C'est une sorte de concours avec moi même, un combat sur mes propres limites.
- C'est bien d'avoir des buts.
- S'adapter ou mourir, c'est ce que tu m'avais dit, au début.
- Je l'avais lu dans un polar de série B.
- Ne nous valons pas beaucoup plus."

Quatre ambulances, trois bus de CRS, deux camions de pompiers, une jeep de l'armée.
Nous rentrons. Massilia Sound System semble de bonne humeur. Plus besoin de parler.
Nous murmurons des paroles invisibles.

" - J'ai terriblement peur, tu sais."

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