4.4.05

Polaroid, marque déposée.

"J'ai terriblement peur"

Un petit esquif à base de plaque de polystyrène flotte au loin. Avec son fanion planté, il dodeline au gré des vagues, en adoptant une danse proche de celle des canards.
Un culbuto marin.

" - Tu te rends compte ?
Ce mec débarque dans ma vie comme ça et il me dit qu'il est amoureux de moi depuis 15 ans.
- Il était peut être en prison pour meurtre ?
- Non, en général, tu prends 20 ans pour un meurtre.
- Alors ca devait être pour viol ?"

Nous sommes tous les deux assis sur une avancée au dessus de la mer.
Un banc dans le marbre, surplombant une hauteur vertigineuse de falaise. Rien à part la mer qui gronde sourdement, déchirée par les flots.
Il fait un vent terrible, tellement puissant qu'on ne s'entend pratiquement pas parler.
Ce n'est pas une mauvaise chose en soi.

" - J'ai peur, non pas de ce qui m'attend, mais simplement qu'il ne m'aime plus un jour. Peur de lui donner ma confiance et qu'elle ne soit pas honorée.
- Il faut savoir se lancer. Tu n'as rien à perdre.
- C'est exactement le genre de conneries que je lui ai servi pas plus tard qu'hier. A croire que c'est toujours plus facile à dire qu'à faire."

Au loin, les goélands, ou bien est ce des mouettes ?
Comment fait on la différence, d'ailleurs ?
Pour ma part, ces oiseaux pourraient être des aigles royaux que je serai bien incapable de les reconnaitre.
Au loin, donc, les oiseaux semblent immobiles tant ils peinent contre les courants aériens.
Figés dans leur lutte face aux élements, ils renforcent cette légère impression que le temps s'est subitement arrêté.

" - Ce n'est pas un peu tôt de repartir dans une aventure aussi intense ?
- Tu crois que j'ai choisi ? Ca me tombe dessus comme ça tu sais. Je n'ai pas trop envie de réfléchir à la situation.
- Alors tu pars ?
- Pour ce que ça va changer entre nous.
- Je t'avais proposé de prendre mon canapé, le jour où tu le quitterais.
- Il aurait sûrement fallu me proposer autre chose que ton canapé, je crois.
- J'ai toujours été un grand sentimental.
- Tu serais capable de baiser une morte.
- Personne n'est supposé être au courant de cette histoire."

On n'imagine pas très bien le poids dévastateur que peut prend un évènement anodin lorsqu'il débarque dans une vie de couple trop bien réglée. Un compliment spontané, une marque de galanterie.
Un SMS dans un couple qui ne sait pas encore qu'il n'en est plus un.
Une lutte contre les évidences, à coups de claques dans la gueule et d'assiettes brisées.
Pourquoi rien ne reste jamais sous terre ?

" - En trois mois, nous avons déjà plus de projets qu'en dix ans de couple. Je ne sais pas où nous allons, mais une chose est sûre, c'est que nous y allons tête baissée.
- Je ne sais pas si je pourrais. Je veux dire, je ne sais pas comment je réagirais si j'étais confronté à la même situation.
- Ton problème, c'est que tu est incapable de saisir le bonheur quand tu le vois. Tu réagiras comme tu as toujours réagi, en fuyant à toutes jambes une fois le maximum de dégâts causés.
- Je crois tout de même être capable de saisir le bonheur quand je le vois, non ?
- Venant de la part de quelqu'un qui fait la danse de la victoire lorsqu'il trouve l'édition collector de l'armée des morts, la phrase perd un peu de sa force.
- C'est à cause du bonus de 20 minutes sur les plus belles explosions de crânes
- Alors, forcément."

Un deuxième esquif suit les traces du premier. Puis un troisième.
Un serpent de mer qui se trémousserait après avoir mangé trop épicé.
Des enfants passent tout en nous regardant avec de gros yeux écarquillés. Ils sont plus laids les uns que les autres. Un particulièrement, miniature du sergent Garcia.
Il détale lorsque je fais mine de lui jeter un caillou.

" - Une chance de te voir en tailleur, avant de partir ?
- Ca dépend, une chance de te voir en string avant de partir ?
- Sans me vanter, je trouve que j'ai des fesses de plus en plus belles, tu serais surprise.
- Nous verrons bien."

Il me semble que nous sommes ici depuis une éternité. Le soleil décroit, épuisé d'avoir craché ses maigres forces à l'aube d'un printemps naissant.

" - Il suffit que je voie un bateau partir à l'horizon, pour que je veuille tout plaquer sur un coup de tête. Naviguer à travers le monde. Une casquette avec une jolie visière.
- Dès qu'il me téléphone, j'oublie immédiatement toutes mes angoisses. Je vis, tout simplement.
- Tu n'écoutes pas ce que je raconte, n'est ce pas ?
- Tu parlais encore de mes seins, je me trompe ?
- Absolument pas."

Les blancs se multiplient. Nous répétons les dernières bribes de phrases prononcées afin de leurs donner un nouvel élan sur lequel rebondir.
Souffler dans le bec des oiseaux morts pour qu'ils s'envolent à nouveau.
C'est la fin. Tout le monde le sait. Nous nous efforçons de croire le contraire.

" - On est obligé de parler de cette façon ?
- C'est à cause de mon blog, il a tendance à tourner les choses de façon pompeuse.
Mais il me semble que cela fait bien longtemps que nous ne sommes plus obligés de faire quoi que ce soit ?
- Je préfère. Tu sais, je voulais te dire quelque chose que je n'ai pratiquement jamais dit à personne. Avant d'aller aux toilettes, je me pèse, afin de voir combien de poids je perds dans l'opération. C'est une sorte de concours avec moi même, un combat sur mes propres limites.
- C'est bien d'avoir des buts.
- S'adapter ou mourir, c'est ce que tu m'avais dit, au début.
- Je l'avais lu dans un polar de série B.
- Ne nous valons pas beaucoup plus."

Quatre ambulances, trois bus de CRS, deux camions de pompiers, une jeep de l'armée.
Nous rentrons. Massilia Sound System semble de bonne humeur. Plus besoin de parler.
Nous murmurons des paroles invisibles.

" - J'ai terriblement peur, tu sais."



8 Comments:

Je commente pour deux.
Moi > "..."
Phé > "Tu diras à Ash qu'il a vraiment trop de talent. Dis lui toi, moi ça me paralyse un mec qui ecrit aussi bien."

By Anonymous Anonyme, at 9:27 AM  

Pareil !

By Anonymous Anonyme, at 12:11 PM  

Tu me piques ma cascade là... mmm... comme la vague impression de pas être clair. C'est important ?

De toutes façons, c'est putride de talent.

By Anonymous Anonyme, at 12:38 PM  

tain elle l'a fait ....

By Anonymous Anonyme, at 5:37 PM  

Merci.

Tout ça parceque j'ai dit que j'avais un beau cul, je vous vois venir.
Je devrais conseiller à mes amis de partir plus souvent, en fait, ca nous ferait plus de matière.

By Blogger Découper selon les traits, at 1:46 PM  

Ce commentaire a été supprimé par un administrateur du blog.

By Blogger Découper selon les traits, at 9:36 PM  

:)

By Blogger Découper selon les traits, at 9:36 PM  

ahah :)

l'Ho, Desproges disait qu'il y avait des mots qui faisaient de la peine comme "Enculé" par exemple.
Mais, je te rassure, nul de ceci en ces lieux.
Nous nous comprenons a demi mots, tels ceux qui savent, et il ne suffit que d'un souffle pour que nous nous entendions tel des tireurs de sonnettes.
Je te remercie néanmoins de ton attention, et je peux te le dire ici, dans l'intimité douillete de cette alcove, si je ne me suis pas fendu d'un commentaire plus prolifique sur ton amicale officine, c'est pour la simple raison que Jay Jay Johanson me sort par les trous de pine.

By Blogger Découper selon les traits, at 9:39 AM  

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