31.1.05

Malbouffe


Pièce à conviction numéro un

La ville est assiégée.

Une armée d'accordéonistes, en quête probable d'une éventuelle aumône en échange de leurs sinistres mélopées, a littéralement investi la ville, d'une façon méthodique et implacable.

Le quadrillage est tel qu'il est proprement impossible d'y passer au travers indemne. Une méticuleuse organisation militaire.

Certes, cet étal de misère n'est hélas pas nouveau et il n'est que le triste reflet d'inégalités de plus en plus flagrantes, mais la proportion et le perfectionnement qu'à atteint ce déploiement massif tient désormais du siège.

L'accordéon est un instrument qui tient une place particulière à mon coeur.
Il m'a toujours tiré de lourds soupirs mélancoliques, même lorsque les partitions interprétées égayaient les plus joyeuses fins de banquets. En gros, Licence IV le dispute au fado.
L'accordéon est une instrument dévastateur pour celui qui sait s'en servir intelligemment.

De coins de rues en zones piétonnières, d'artères commercantes en boulevards animés, la ville s'est mise au diapason d'accords tragiques qui agrémentent le moindre acte de la vie quotidienne.

Ajoutez à celà une neige à gros flocons et des bourrasques hostiles propres à glacer jusqu'à la moelle, et l'on admettra que le décor prête à un petit air de fin du monde, laissant libre cours à l'imagination. Stalingrad, Sarajevo, les soldes chez Armani, ces grands sièges historiques viennent insidieusement en mémoire. Les femmes revêtent des aspects de fières résistantes dures et déterminées, les hommes sont rugueux et impitoyables.

Bien sur, la guerre, ce n'est pas romantique, et j'admets que la comparaison est pour le moins douteuse, mais toutefois, dans ce climat plus que particulier, acheter des cigarettes devient un douloureux ravitaillement, poster une lettre un risque tactique, quitter ses amis un poignant déchirement.

Et toujours au loin, ces roses blanches pour toi, Jolie Maman.

Etait ce pour cette raison que cette envie de se réunir s'était imposée en nous de façon si impérieuse ?

Toujours est il que tout le monde répondit présent lorsqu'il fût question de nous retrouver dans ce restaurant japonais, à gober avidemment des sushis.
Il suintait une impérieuse volonté de rire jusqu'à en oublier l'instant.
Quelle meilleure réponse en effet que le Rire contre cette sinistrose.

Une légion de plaisantins, prêts à tout pour porter l'estocade d'un mot fin, d'une trouvaille dévastatrice, d'une anecdote imparable. Nous concevions à table ouverte de quoi tenir tête à la plus redoutable campagne jamais organisée.

L'alcool de pétales de rose aidant, notre Rire devenait plus facile. Une fois les premières défenses de l'Ennemi franchies, notre progression se faisait de plus en plus aisement. Nous avions réussi à déjouer la mécanique imparable, et, grisés par notre Victoire si soudaine, nous marchions vers le QG des troupes ennemis afin de l'éradiquer au plus vite.
Rien ne peut résister à la puissance de feu des combattants d'une union sacrée.

C'est peut être pour cela que nous n'avons pas réalisé qu'un cinquième colonne s'était montée dans notre troupe. Elle attendait patiemment le moment insidieux pour interrompre notre élan de liberté.

Finalement, la déflagration retentit.

"Moi, tout à l'heure, j'ai parié avec mon mec que si j'osais manger du Canigou, il me faisait un truc sexuel. Et beh, finalement, c'est pas si mauvais que ca la bouffe pour chien"

Patatras. Gros bruit de disque rayé. Silence de mort.
La neige elle même, il me semble, s'était arrêtée de choir.

Après un long moment, inéxorablement, un hoquet s'est aventuré.
Puis un autre.
Le suivant à grondé comme le tonnerre pour se fondre à un vacarme assourdissant.

Nous avions définitivement gagné.
L'Ennemi avait rendu son dernier soubresaut et nous dansions victorieux autour de sa carcasse fumante.

Cela faisait très longtemps, il me semble, que nous ne nous étions pas fait virer d'un restaurant.

Au loin, on entendait résonner à l'accordéon quelques accords de musique.
Ils accompagnaient joyeusement une chorégraphie improvisée par quelques soudards avinés.



2 Comments:

Je porte les tailleurs d'Ally Mc Beal à la perfection et la seule chose dont je me rappelle dans Dogma, c'est un monsieur caca

By Blogger Découper selon les traits, at 9:33 AM  

Il nous aime bien, mais il était un peu fatigué.
Il a moyennement goûté à notre interprétation de New York New York à 4 voix.

By Blogger Découper selon les traits, at 9:16 AM  

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