18.5.05

Une pure formalité.

Je me suis réveillé vers Midi.
Disons dix heures trente.
Six heures peut être ?

Je ne me rappellais plus de la sensation de cette vieille douleur, cette aiguille à tricoter dans le crâne, chauffée à blanc, qui glisse comme dans une motte de beurre tiède.

Comme une vieille plaie qu'on tripote instinctivement et qui ravive aussitôt tant de familiarité.
On gratte machinalement et malgré la douleur, on continue de plus belle.
Un inconfort contrôlé.

Il doit faire jour, c'est certain, vu comment le soleil me carbonise les pupilles, paupières fermées, comment la vermine grouille au loin, dans les coins du champ de vision.

La dernière image qui me revient en tête, c'est ce petit gâteau que je mange avec son papier, je le dévore et plus rien d'autre ne compte.

Ma vie contre cette friandise.

Une pile de DVDs est répandue dans le salon, comme un dégueulis de bébé.
Une étagère n'est plus à sa place.

De la brume généralisée qui me fait office d'instinct conscient, je tente péniblement de remonter le fil des évènements des heures précèdentes.

Récapitulons.

Je me heurte à la porte d'entrée.
Je gare la voiture.
Un long tunnel obscur.
Je rentre dans la voiture, vaseux.

Je quitte la soirée.

La Soirée...

Curieusement je suis bien.
Je suis là sur la terrasse, tout seul.
Les yeux mi clos, je regarde les deux énormes ferrys mouiller dans la baie.
Il y a des halos de lumières de ci de là.
J'ai l'impression d'avoir bien joué le coup.
C'était tellement facile.
Bravo, champion.
Je bois un fond de verre avec des cendres pour fêter ça.
Il est temps de rentrer.

" - Tu veux que je te ramène ? On vit toujours dans le même quartier.
- Non, je ne préfère pas.
- Je suis toujours une sale ordure bourrée qui ne change pas, hein ?
- Ne dis pas ça. Tu as changé. Tu tenais beaucoup mieux l'alcool avant."

Je finis ma deuxième bouteille de vin.
Et ça doit faire quelques fois de plus que je me renverse le verre dessus.
J'ai bien fait d'abandonner l'idée du costard.
Je n'ose même plus imaginer la scène.
Remarque, celà fait bien bien longtemps que j'ai abandonné l'idée de garder un quelconque contrôle de la situation.
Je parle d'une voix éraillée, englué dans ma philosophie sentencieuse de comptoir.
C'est beau ce que je dis. J'ai tellement compris la vie.
J'ai failli écrire des livres, tu sais.

La plupart des gens sont partis depuis bien longtemps.
Il fait froid. Je renifle bruyament.
Elle m'emmerde avec ses questions.

" - Est ce que tu t'es remis en cause, depuis ?
- Je ne comprends pas ta question.
- Je te demande si tu es heureux dans ta vie.
- Si je t'ai quittée, c'est parcequ'on vivait comme dans une chanson de Miossec.
Je ne t'ai pas laissé le choix, c'était injuste, c'était tout ce que tu veux, mais je ne savais pas t'aimer comme
tu le méritais.
- Je ne t'en ai jamais remercié. J'ai fait une dépression, depuis.
- Hôpital ?
- Psy.
- Mon égo en prend un coup."

Joli baraque, rien à dire. Vue sur la mer, gros bateaux qui mouillent dans la rade, douce brise tiède.
Canapés de luxe, portes arrondies.
On voit dans le paysage au loin ce bar discret, les pieds dans l'eau, où je fais mes numéros de séduction au Mennen.
Je parle dans le vide depuis un moment, je suis sur mes gardes.
J'attends le moment où j'aurais droit au numéro de la femme bafouée qui se drape dans sa dignité.
Je les attends, tous.

" - Champagne, mon ami
- L'âge du Christ.
- Et si je te cassais tous les doigts ?
- Tu ne peux pas, je t'ai fait un cadeau cher."

A l'entrée, un couple fait mine de ne pas me reconnaitre.
Ou bien, fait mine de me reconnaitre et de m'éviter.
On ne sait pas trop bien, ce n'est pas assez explicite.
On en vient à admirer ces grands tragédiens qui parviennent à donner de la grâce à de telles situations.
Pourtant, dans la réalité, il est bien rare qu'elles atteignent autant d'intensité.
Tout se fait bêtement.
On meurt bêtement. On se marie bêtement. On tombe amoureux bêtement.
On s'évite bêtement avec des chassés croisés dignes des théatres de boulevard aux portes qui claquent de façon sonore.

Je me parle à moi-même. Il n'y à plus de Mojito.
" - Qu'est ce que tu pensais, Ducon ? Que ça serait facile ?
Que tu débarquerais comme une fleur et qu'ils t'acclameraient comme un héros antique ?
- Pour être sincère, j'y croyais un petit peu."

Elle se pointe vers moi presque immédiatement.
A notre première rencontre, elle était vêtue en Catwoman.
Une fête costumée, déjà.
J'avais bien aimé qu'elle me touche la pointe du nez avec son fouet.
Je suis un homme facile, je n'ai jamais dit le contraire.
Ce qui me vrille les tripes, c'est sa voix.
Depuis combien de temps je n'avais plus entendu ce timbre ?
Tout ça sonne faux. Tout ça sonne trop familier.
C'est donc ce qui reste au bout de tout ce temps, quelques petits frissonnements au son d'une voix qui surgit du néant.

" - Ca me fait vraiment plaisir de te revoir.
- Cinq années.
- Qu'est ce que tu deviens ?
- Sourd.
- Je pensais que tu aurais rencontré d'autres femmes, depuis."

J'annule et je me casse.
Je laisse tomber ce déguisement de merde.
Je trouve une excuse bidon.
Des Exs mélangées à des grosses prises de tête, et de gens que je n'ai pas vu depuis si longtemps.
L'exercice des retrouvailles, des confessions, des mea culpa.
J'ai besoin d'un verre.
Qu'est ce qu'il m'a pris d'accepter cette invitation.
Marcher sur des oeufs.
Se résumer en quelques mots, vendre sa réussite, vendre ses échecs, trouver l'accroche, savoir faire baver même avec trois fois rien, ne rien lâcher.
Il faut il vraiment que je crois en cette connerie de karma.
Je compte jusqu'à trois et je fais demi-tour, c'est décidé.
Trop tard, reperé. Bien fait pour ta gueule.
Hey! Des jambes à bas résilles !

" - Oh, que tu es ridicule.
- Je suis déguisé en fan de Johnny.
- Ca te va bien, la tête de loup.
- Sers moi un verre"

Je me rends à cette soirée, comme on s'est rendu à Alamo. Acculé, dos au mur.
Une invitation de vieux copains. Une offre qu'on ne peut pas refuser.
Les vieux copains.
La Mafia, mais en pire.
Les vieux copains, c'est cette famille tentaculaire qu'on s'est infligé comme un grand.
On y retrouve cette même codification protocolaire, avec ses règles tacites, ses sujets à ne pas aborder, ses marques de respect à formuler.
Le respect en valeur fondamentale, on sait à quoi s'en tenir très rapidement.
La seule différence, c'est qu'on ne peut pas se tirer dessus en cas de conflit.

Quand on m'a proposé cette soirée costumée, à base de vieux copains perdus de vue depuis des années, ceux là même sur lesquels on avait mis de la distance et du temps, histoire de prétendre qu'on peut très bien vivre sans passé, je me suis dit que je n'avais rien à perdre et tout à gagner.

Une part de protocole, une part de bons sentiments et une part de masochisme.

La preuve que tout s'est bien passé :
ce midi, la tête dans la cuvette, il ne me reste plus rien à vomir.
Toute la rancoeur qu'il y avait à cracher est déjà en train de refroidir quelque part loin, avec pour seuls témoins deux gros bateaux mous.



8 Comments:

Tu m'as sctochée.

By Anonymous Anonyme, at 10:47 AM  

Tellement que j'arrive même plus à l'écrire.

By Anonymous Anonyme, at 12:42 PM  

ca veut dire qu'il y a moyen que je te touche les seins ?

By Blogger Découper selon les traits, at 12:24 AM  

Miossec... S'il fallait choisir... A traumatiser les couples à venir! Que c'est bon!
Merci toi!

By Anonymous Anonyme, at 9:48 AM  

Farpaitement!
Par pour que Ash me touche les seins hein, j'ai déjà dit non, mais pour ce que dit lHo.
Mais quand j lui dis (à Ash, faut suivre) il m'croit pas.

By Anonymous Anonyme, at 10:56 AM  

Respect ! c'est du solide..
Je te découvre le même jour que LHo et, si mon raisonnement est bon, je fais donc partie non seulement du 0,02% des visiteurs qui laissent une trace sur ce blog surpeuplé, mais également du 0,0001% des nouveaux acheteurs qui osent écrire leur plaisir d'être passé.
Alors voilà, c'est chose faite.

By Anonymous Anonyme, at 2:16 AM  

Si on fait abstraction de ma mère qui compte triple, je pense qu'avec le reste des lecteurs on doit pouvoir tous aller manger dans une petite auberge de relais châteaux, le genre discrète et intime.
Ca tombe bien, je ne sais pas trop gérer la masse, en général.
Et peut etre que le blog n'est pas forcement le média le plus approprié pour ce genre d'exercice.
Va savoir.

Je suis peu à l'aise avec les compliments, mais
je vous remercie vivement et les bouteilles de vin sont pour moi. J'ai dit.

By Blogger Découper selon les traits, at 8:13 PM  

Lire ton blog pour un mec comme moi, c'est un peu lire un livre en commençant par le milieu... se sentir coupable de ne pas respecter l'ordre des choses, déçu de comprendre les rebondissement à l'avance, mais trop excité pour retourner à son marque-page.

By Anonymous Anonyme, at 4:44 PM  

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