29.12.04

Pendant les affaires, la lutte continue


Viens voir, viens voir, là elles sont deux...

La première fois que je les ai vues, j'étais perdu au fin fond de l'Allemagne, seul et trempé.

J'étais là bas pour une des ces pénibles réunions qui n'ont de sens que si on les considère comme de courtes escapades du morne quotidien d'entreprise.
Il nous avait été demandé de disserter avec nos interlocuteurs allemands pour faire le point sur la qualité sonore
si approximative de notre produit.
En gros, les rassurer et les câliner avec force diagrammes et petits gateaux au beurre fouetté.
Maillots de corps et crânes clairsemés en tenue correcte exigée.

Pour rejoindre cet obscur village de banlieue munichoise, dont la pluie battante nocturne laissait apparaitre progressivement les contours d'une cité médiévale teutonne oubliée, nous avions déjà du avaler, à défaut de nourriture, un rafraichissant cocktail d'avion en retard, de tempête et de réservation annulée.
La mise en bouche traditionnelle pour se mettre en situation.

Mon escorte était à la hauteur, directement décollée d'une plaquette de communication interne d'entreprise, avec la juste profondeur qu'on est en droit d'en attendre.
Mâchoire carrée et brut de Mennen. Ratio de Performance et cuir crouté.
Le peu d'écho qu'avait rencontré ma laborieuse tentative de comparaison de notre présente situation avec l'extension du domaine de la lutte avait fini de me convaincre que c'était effectivement bien parti pour rire jusqu'au sang.
On pouvait oublier Primo et sa clef à molette.

Une fois arrivés à l'hotel, minuit passé depuis longtemps, il fut évidemment impossible de trouver la moindre trace de nourriture, même en cherchant minutieuement dans les interstices des coussins du canapé.
Il fallait se résoudre à l'évidence, c'était l'inanition ou l'exploration.

A cette quête, je me retrouvais rapidement seul, délesté de mes compères d'infortune convaincus que le respect bovin des dictons pétainesques qui dorment et qui dînent était le signe flagrant d'une surperformance d'entreprise. Où alors, l'idée de boire des chopines sous la pluie avec un gars qui citait du Houellebecq pour casser la glace avait fini d'achever leur faim débridée.

Il ne me fallut pourtant que peu de temps pour trouver l'unique endroit encore ouvert en ces heures indues.
Créditons en ces douze années passées à apprendre qu'Udo et Jochen rendaient visite à tante Oma.

Le bouge où je finis par atterrir avait sûrement dû entendre chanter l'Ange Bleu et même Wagner jeunes, mais pour cause monopolistique, il voyait défiler toute la faune cosmopolite nocturne dont la particularité commune était de s'emmerder fermement.

La nourriture chaude, la bière à profusion et mon nouvel ami rougeaud Udo à la frange blonde avaient presque fini par me réconcillier avec les inventeurs de la Sécurité Sociale.
Ce fut à mon retour à l'hôtel, transpercé comme il se doit par une tempête digne du bateau fantôme, que je fus définitivement touché par la Grâce.

Dans mon lit, devant la foultitude de chaines télé mises à disposition, s'en trouvait une où tournaient en boucle des courtes saynètes impliquant quantité de femmes nues vantant divers services de téléphonie rose.
Chaudes et accueillantes, souriantes et mystérieuses, elles n'avaient pour autre mission que de faire passer le maximum de triste chair en un laps de temps ridiculement étriqué.
Cette répetition hypnotique, démultipliée par la décompression nerveuse, me mena fasciné jusqu'aux premières lueurs de l'aube.
L'amas de chair, la musique, les numéros de téléphone, les spécialités diverses, tout cela était trop beau pour être vrai. J'ai enterré au plus profond de moi, tel un secret honteux de famille, je n'en ai jamais parlé.

Et puis, la semaine dernière, je les ai revues.

Elles étaient chez moi, toujours aussi souriantes et disponibles. La douce mélodie d'ascenceur crachait à nouveau ses chiffres germaniques avec cette grâce si gutturale.
Quinze siècles de civilisation condensés en dix secondes de télé.
Je ne m'en lasserai jamais.



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