1.4.05

Poussières sous le tapis

J'ai des petites manies.

"Mais qu'est ce que tu peux bien faire avec tout ça ?"

La question, prononcée telle quelle à brule pourpoint, semble luire d'elle même de sa pertinence éblouissante.

Ou bien, est-ce peut-être l'air ravi qui se peint sur le visage de celui qui vient de la lancer, vraisemblablement fier de ses prodigieux talents d'observation et de sa fulgurante capacité à les rassembler en une synthèse claire et concise.

"Oui, vraiment, à quoi tout cela peut il bien te servir ?"

Le problème, c'est que je ne compte plus depuis bien longtemps le nombre de personnes qui me l'ont posée depuis ces 6 derniers mois.

Une accumulation de canettes vides en métal trône, dans un coin de la pièce.
Empilées méthodiquement, elles s'agglomèrent en une structure aux formes épurées, pointant doucement mais surement jusqu'aux limites du plafond.

D'un sourire las, je ressers alors avec patience l'explication-type que j'ai fini par échaffauder au fil des successives tentatives d'explications de ce simple non sens.

Ca parle de temporalité, de concrétisation de notre finitude, parfois même cela dévie sur la prédominance dans nos vies de la surconsommation de masse.
En général, peu à l'aise avec des concepts de plus de trois syllabes, l'explication suffit à taire les plus diserts.
Ils repartent un peu décus de ne pas avoir entendu que je construisais une antenne sub-ionique pour entrer en contact avec les élohims afin qu'ils viennent écraser leurs grosses gueules de cons, mais ils ont néanmoins acquis la conviction que l'art et la philosophie pouvait entrer en synergie avec un outil de production prompt à ronger l'épithélium des masses laborieuses.

Le problème, c'est que je n'ai pas vraiment de justification à cette petite manie.

J'accumule depuis toujours sur mes lieux de travail les petits objets qui nous consommons à l'infini.
J'ai ainsi entassé une formidable montagne de petites touillettes à café et constitué un trésor de petite monnaie assez conséquent.

Lorsque la collection atteint un volume totalement arbitraire mais néanmoins significatif, je met le tout dans un grand sac poubelle, envoie deux trois mails cochons à la petite stagiaire du deuxième et rédige ma lettre de démission.

C'est ce que j'appelle mon horloge de masse irrépressible.
C'est certainement pompeux, mais ca résume bien l'idée qu'une fois atteint un seuil critique on ne peut décemment plus revenir en arrière.

Les freudiens verraient sûrement dans ces accumulations maladives un passage un peu trop prolongé chez le sadique anal et je ne peux que les croire sur parole puisque je me met systématiquement à bander lorsque ca parle de sucer des seins dans le chapitre du stade oral et que je ne suis donc jamais parvenu à finir le moindre de ses ouvrages.

J'étais tellement fatigué de toujours entendre ces mêmes questions que j'ai rangé toutes les cannettes dans une armoire, en me disant qu'une fois le meuble plein, il serait alors temps de filer vers de nouveaux horizons.

Je n'ai pas fait la relation tout de suite.

Je m'en suis retourné vacquer à mes anodines occupations, jusqu'à ce que je recoive dans ma boite aux lettres électronique un de ces courriers dont on ne sait pas trop vraiment par quel bout les prendre.

Ces lettres écrites avec une amitié polie, sans trop avoir grand chose à dire mais dont la démarche est pourtant tout à fait louable, puisqu'elle rappelle que c'est à force de se donner un peu de tiédeur réciproquement qu'on finit par oublier qu'il gèle dans le neuvième cercle.

Des gens pas toujours très proches, des visages tout juste intimes, avec des vies qu'on mélange un peu avec celles des voisins.

On y répond souvent d'un ton badin, mélant l'inutile au superflu, jusqu'à ce que la pâte ait obtenu une texture suffisament consistante pour que le tout ne soit pas trop lourd à digérer.

Ces lettres là, en général, je les range dans un dossier spécial intitulé général et je me dis que lorsque j'aurai atteint un volume suffisamment conséquent, j'y répondrai d'un bloc.

Et puis, lorsque le dossier a atteint sa taille maximale, je les supprime toutes d'un coup et je passe à un nouveau cercle de connaissances.

Dans ce dossier, je range également les lettres des personnes un peu trop proches, celle dont ont connait par coeur l'intimité du visage et avec lesquelles nos vies se sont bien trop mélangées.
Je me dis que lorsque j'aurais atteint un degré d'oubli suffisament conséquent, je pourrai les nier d'un bloc.
Peut être même les effacer lorsqu'il s'agira de faire le tri d'avec les lettres anodines.

Une fois le dossier plein, pourtant, j'y réponds.

Je n'ai pas véritablement d'explication à ce simple non-sens, mais pour me justifier j'aime bien me raconter la temporalité, la concrétisation de ma finitude.
Parfois même je dévie sur la prédominance dans ma vie de la surconsommation d'alibis approximatifs pour ne pas appliquer à ma vie sentimentale mes concept d'horloge de masse irrépressible.

Et pourtant, on le sait bien, une fois le seuil critique
atteint, on ne peut décemment plus revenir en arrière.




4 Comments:

Cette attitude nécessite une quantité suffisante de mépris pour les états d'âme de son prochain que je peine à atteindre tant est pressante ma manie de ménager les sensibilités. Je t'envie... peut-être.

By Anonymous Anonyme, at 4:36 PM  

quant à moi j'aime bien me retourner après avoir chié, pour contempler la jolie accumulation de merde que j'ai constituée. sculpture éphémère et pourtant si vivace dans les souvenirs qu'elle nous laisse, comme ces sculptures de glace qui fondent sous le regard aimable et un peu triste des artistes qui les ont érigées.

By Anonymous Anonyme, at 6:28 PM  

Le mépris, le chocolat ou la merde ?

Je pense qu'il doit y avoir un peu de tout ça en même temps. Avec un peu moins de mépris, il m'arriverait surement moins de merdes et je ne serais pas chocolat à la fin.

Vous avez raison, je vais finir par me décider à envoyer mes voeux pour la nouvelle année.

By Blogger Découper selon les traits, at 11:59 PM  

hihi! thésaurisation ou théorisation tout ça... j'aime beaucoup ce billet!
Enfin, encore un gars que le bordel ne gène pas suffisamment pour ranger. J'dis ça, j'dis rien bien entendu. Mais je te rassure, t'es pas tout seul.

By Anonymous Anonyme, at 4:05 PM  

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