27.5.05

La tête hors de l'eau

Sur le quai, une vieille mama italienne un peu perdue embrasse avec force manière une médaille religieuse qu'elle porte autour du cou.
Rien de ce qui l'entoure ne semble vraiment l'interesser.
Ses lèvres sur Saint Jean et le reste n'existe plus.
Toute la félicité du monde se lit sur son visage.
Les yeux mi-clos, la tête en arrière.
De grands soupirs s'engouffrent dans ses poumons.
Le bonheur autour du cou.

Nous sommes serrés les uns contre les autres, baignant dans cette intimité forcée, où les bites emboitent les culs sans la moindre tension sexuelle, une intimité médicale, comme lorsqu'on accepte de se faire palper par le médecin, afin de détecter une éventuelle boule suspecte.
Et c'est ça qui nous sauve, je crois, c'est ça qui nous retient de.
C'est pour celà que nous nous supportons, parce qu'il y a un plan supérieur, parce que nous y sommes bien obligés, parce qu'il faut bien en passer par là pour chercher la petite tumeur.
Tête contre joue, seins contre côte.
Personne ne se touche en temps normal.
Des chorégraphies souples et nerveuses pour ne pas se toucher, éviter même de frôler.
Sueur contre sueur.

Les portes s'ouvrent, la foule se déverse comme un barrage qui cède, un flot furieux qui rebondit au sol. La gare est plongée dans le noir et celà prolonge cette sensation d'intimité, une torpeur muette. Des couloirs dans le noir, des escaliers dans le noir, la pénombre dans les escalators, dans les ascenceurs. Une petite troupe pressée et compressée qui avance en bloc dans les ténèbres au pas de charge.
Et de jaillir nerveusement dans une clarté aveuglante.
Fin de l'intimité.

"Je suis bien arrivé à la gare,
les gens sont gentils,
je t'embrasse."

Yolande Moreau raconte dans Libé que «c'est l'histoire d'une femme qui recherche l'amour comme remède à son angoisse de vivre. Je me disais que je ferais autre chose quand j'aurais trouvé la paix affective. En fait, il n'y a jamais de paix affective.»
Un frisson intense le long des bras.
L'impression de basculer dans un gouffre.

Des ailes volantes virent sur des courants ascendants invisibles.
L'absence de bruit est complète.
C'est troublant ce silence, quand on y prend garde.
Quand on réalise à quel point nous vivons dans le tumulte permanent.
Le restaurant est sur un a-pic de falaise vertigineux, il donne directement sur une mer aux tons chimiquement improbables.
Un véritable appel à l'oubli.
Le vide et le bleu. L'intense et le chimique.
L'impression de vivre dans une de ces foutues cartes postales pour grands parents.

"Je suis à la montagne,
la mer est belle,
je pense à toi très fort."

Je commande de la viande, cela fait trois jours que je mange exclusivement de la viande.
De la viande crue.
Une purification carnivore, comme un rite tribal.
Faire appel aux instincts primaires des guerriers avant la chasse pour être le plus fort, aiguiser son sens de la prédation, réveiller le goût du sang.
Je suis mis en concurrence, je le prends bien.

G. est de passage.
Son faux costume Hugo Boss, ses fausses lunettes Armani.
On y croirait presque.
On parle de la Chine.
Ca à l'air bien, la Chine.
Des putes un peu partout, ils chantent dès qu'il en ont l'opportunité.
Et les gens, surtout, sont très souriants.

" - Ils arrêtent pas de bosser, ils ont appris à une vitesse impressionnante. Je n'ai pratiquement plus rien à leur apprendre
- Tu as le droit de les frapper ?
- Toujours serviables, gentils, toujours prêts à t'aider.
- Et le droit de cuissage sur la plus belle femme de l'usine, tu l'as au moins ?
- Dans moins d'un an, ils seront totalement autonomes.
- Mais ils parlent français, au moins ?
- Ca aussi, ils l'ont appris."

La nausée, les palpitations, la lassitude, tout ca finalement n'est pas très important.
De la viande crue. Beaucoup de viande crue.
Faire appel aux vieux rites de la tribu.

" - Tu entends ça? Tu devrais prendre exemple, ça fait trois ans que tu vis en France, tu ne parles toujours pas un mot de français.
- Apparement, il serait parti sauter d'un pont juste après avoir quitté son travail.
- Je préfère finalement lorsque tu parles anglais."

Ce qui tranche c'est le silence.
Il me faut une médaille.
Un fétiche, un gri-gri, ce que tu veux, mais il me faut quelquechose.
Il y a sûrement un remède.

"Je suis en Chine.
La délocalisation se passe bien, les putes sont belles.
Je t'emmerde"



3 Comments:

Honnêtement je ne saurais pas dire ce que tu mérite le plus pour la façon dont tu dépeinds le monde, des fleurs ou des claques. Mais c'est toujours une expérience toute particulière de te lire ;)

By Anonymous Anonyme, at 4:54 PM  

vivement demain, oui

By Blogger Découper selon les traits, at 1:49 PM  

Et aussi, j'ai piqué le titre à Dan Fante.Et il n'y a aucun rapport.

By Blogger Découper selon les traits, at 1:55 PM  

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